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Marc Brétillot

Designer, professeur à l’ESAD de Reims et à l’Ecole supérieure de cuisine française, il est un peu le père du design culinaire en France. Marc Brétillot et la discipline sont deux inséparables, comme le goût et les papilles. Invité à concevoir une exposition pour le Lieu du design, à Paris, il donne à voir toute la diversité d’une activité en devenir et ses champs d’applications.

Céline Piettre. Avant toute chose, j’aimerais connaître votre définition du design culinaire, une discipline dont on entend de plus en plus parler mais qui reste encore difficile à appréhender…
Marc Brétillot. Le design culinaire est tout simplement un design appliqué à l’alimentation, de la même façon qu’un design peut être appliqué à l’automobile ou au mobilier. Le définir renvoie à définir le design en tant que tel. Le terme contient à la fois les mots « dessin » et « dessein ». Il y a donc toujours l’idée d’un projet dont l’outil est le dessin, mais un outil conceptuel.

Quelle serait alors la spécificité de ce champ d’application du design qu’est le design culinaire ?
Marc Brétillot. Manger est la seule activité humaine qui mette en éveil les cinq sens de façon simultanée. On ne se contente pas de goûter un aliment, on peut le regarder, le sentir, le toucher… Mais la plus grande spécificité de la nourriture est d’être une matière qu’on incorpore physiquement. Du coup, pour accepter d’ingérer un aliment, on a besoin de facteurs rassurants. Toute la création en design culinaire est bordée par cette dimension de l’incorporation ou pas de l’aliment. Le goût est un sens de la conscience, on ne peut goûter quelque chose que si on est prêt à le faire, contrairement à la vision ou à l’ouïe, qui sont des sens subits. Le geste de manger n’est pas neutre. L’expérience culinaire n’est possible que si vous la comprenez.

L’exposition « Food Design : aventures sensibles », présentée au Lieu du design jusqu’au 30 avril, est la première du genre en France. Tous les artistes sélectionnés sont des étudiants ou des anciens étudiants de l’Atelier de recherche en design culinaire, que vous avez créé en 1999 à l’ESAD, l’Ecole supérieure d’art et de design de Reims. Pourquoi ce fil conducteur ?

Marc Brétillot. Tout d’abord parce que la grande majorité des designers culinaires a suivi le cursus à l’ESAD. L’Atelier de recherche est une sorte de plaque tournante de la discipline qui accueille aussi bien les étudiants que les designers étrangers confirmés, pour participer ou animer des workshops par exemple. Le fait d’axer l’exposition sur l’ESAD me paraissait tout à fait légitime. De plus, cela me donnait une trame à partir de laquelle tisser une histoire. « Food design » reflète ainsi les dix ans d’activité de l’Atelier de recherche, à travers soixante projets, des travaux d’étudiants mais aussi ceux de six designers en particulier, anciens élèves de l’école, qui continuent d’interroger le monde alimentaire : Anne Bonin, Eléonore Delattre, Germain Bourré, Delphine Huguet, Julie Rothhahn et Magali Wehrung. Enfin, les post-diplômés proposent cinq soirées de performances culinaires, précédées de conférences, comme autant de « pratiques sensorielles et vivantes ».

La création de l’Atelier de recherche de design culinaire de l’ESAD serait en quelque sorte l’acte fondateur du design culinaire en France…
Marc Brétillot. Oui. Quand on a commencé l’atelier il y a douze ans, personne ne faisait de design culinaire. On a déchiffré le terrain. Et à ma connaissance, c’est encore la seule école aujourd’hui à proposer un atelier de recherche permanent en design culinaire. Les autres institutions, comme l’ECAL de Lausanne ou la Design Academy d’Eindhoven pour citer les plus prestigieuses, organisent des workshops ponctuels, des expérimentations avec des écoles hôtelières mais elles n’ont pas de section pérenne.

A l’entrée du parcours, on découvre Morceau de Julie Rothhahn, un vinyle en chocolat dont le goût, la couleur et la mélodie varient selon l’humeur qu’il est censé exprimer… On est ainsi propulsé immédiatement dans un univers sensible, synestésique, déjà annoncé par le titre de l’exposition. Pourquoi insister sur cette dimension en particulier ?

Marc Brétillot. L’accent mis sur le sensible correspond à la vision de l’ESAD, qui fait la promotion d’un design d’auteur en opposition au design marketing. C’est celui là que je pratique et que j’enseigne. Le design d’auteur laisse s’exprimer la personnalité du designer, sa singularité. C’est la seule façon de concevoir des projets sensibles. Les six anciens étudiants de l’ESAD présentés ici ont des parcours très divers : Eléonore Delattre est intégrée chez Danone, Anne Bonin fait du décor de pâtisserie, Germain Bourré travaille dans le design culinaire mais aussi dans le design d’espace et collabore avec la Veuve Clicquot, Julie Rothhahn conçoit des projets de l’ordre de la performance, de l’expérimentation… Toutes ces diversités et ces sensibilités sont intéressantes et vont entrer en résonnance avec un large champ d’application, de l’art contemporain à l’industrie agro-alimentaire.

On a l’impression d’une grande liberté créatrice, peut-être plus que dans les autres secteurs du design ?

Marc Brétillot. Cette impression est liée au fait que plus de la moitié des projets présentés sont des travaux d’étudiants, sans cahier des charges. Ils disposent donc d’un espace de liberté plus grand. Mais, en général, dès qu’il y a des contraintes commerciales, on se retrouve avec une offre normée, très proche du rayon de supermarché ! Quand on a conçu l’exposition, on voulait au contraire montrer le côté joyeux, ludique et expérimental de l’activité.

La scénographie apparaît justement comme une sorte de laboratoire, lieu d’expériences et d’ébullition…
Marc Brétillot. Manger est un acte social. La scénographie intègre cette dimension conviviale de la nourriture par la proximité entre ce qui est présenté et le visiteur. Les vitrines classiques ont été remplacées par des tables. Je ne souhaitais pas non plus séparer les travaux des professionnels de ceux des étudiants. Ils sont tous au même niveau de lecture, seulement différenciés par la couleur des néons. Au centre de l’exposition, on a le « totem de la connaissance », une bibliothèque proposant des ouvrages sélectionnés par L’IEHA, l’Institut de l’histoire de l’alimentation. L’idée est de faire comprendre aux visiteurs que l’alimentation parle de l’humain, des civilisations, qu’il y a un aller-retour possible entre les sciences humaines et le design culinaire. Cette somme de connaissance liée à l’alimentation irrigue toute l’exposition. Enfin, des voiles transparents, sur lesquels sont collés des aliments : du sucre, de l’estragon, du café, du riz, recouvrent les baies vitrées. De l’extérieur, on voit l’exposition à travers l’alimentation, qui est la matière première du design culinaire. Cela donne l’impression d’entrer littéralement dans cette matière première…

Germain Bourré, l’un des anciens étudiants de l’ESAD dont le parcours est présenté ici, travaille régulièrement avec des chefs, comme William Frachot pour un projet de cloches à saveur en chocolat. Quel est le rôle du designer par rapport au cuisinier ou à l’industrie agro-alimentaire ?

Marc Brétillot. De la même façon qu’un designer de chaises en plastique n’est pas forcément un ingénieur plasturgiste, il n’est pas nécessaire pour un designer culinaire de maîtriser les techniques de cuisine. Il faut bien sûr avoir un intérêt au goût, aimer manger, mais il faut surtout avoir une ouverture d’esprit, être capable de porter un regard candide et décalé sur l’alimentation. L’école hôtelière restreint souvent les horizons au lieu de les élargir. Les étudiants sont très formatés. Le designer est là pour re-questionner le produit sans le poids du savoir-faire, de la tradition. Le cuisinier fait ses recherches en déplaçant une donnée (température ou ingrédient) tandis que le designer, lui, suggère des idées et va ensuite chercher les moyens de les mettre en œuvre. Le design est toujours une discipline à la croisée des chemins entre la technologie, la science, le sensible, et puis un marché. Le designer n’est jamais spécialisé dans un domaine en tant que technicien, il cherche la cohérence. L’acte de manger est un acte global, qui questionne le goût, mais aussi l’espace, la présentation des mets, le service, la façon dont on va installer les gens autour d’une table etc.

Sur l’une des premières « tables », on peut lire la phrase : « L’alimentation est politique »…

Marc Brétillot. Ici, on rejoint encore cette question du design d’auteur, son but n’est pas seulement commercial mais aussi expressif, il peut questionner la relation de l’alimentation au monde. L’alimentation touche chacun de nous, et de façon très intime. Elle est l’expression de la société et de son fonctionnement, parfois même de ses dérives. Il nous arrive de subir de véritables violences alimentaires. C’est ce que nous avons voulu montrer avec la section « Catastrophe ». La question de l’éthique en matière d’alimentation est l’un des sujets qui m’intéresse le plus en tant que designer, au-delà de la forme même.

Quelle est la côte de la discipline aujourd’hui en France ? Est-ce que les entreprises font souvent appel aux designers culinaires ?

Marc Brétillot. L’activité est récente, donc encore marginale, mais le regard qu’on lui porte a évolué. On peut désormais envisager des programmes de recherche, trouver des investisseurs. Il n’y a pas encore d’automatisme du côté des entreprises comme pour le design mobilier, mais ça évolue progressivement. Dans un restaurant il y a dix ans, la décoration était faite presque toujours par la femme du restaurateur. Maintenant, un investisseur qui travaille avec un cuisinier fait forcément appel à un architecte d’intérieur ou à un designer. Le monde se complexifie, on a une nécessité d’aller chercher des expertises dans tous les domaines pour faire avancer les projets.

Informations pratiques

Du 9 mars au 30 avril 2011, exposition « Food Design : aventures sensibles », au Lieu du design, Paris.
Des conférences et des performances culinaires sont organisées en lien avec l’exposition, cliquez ici pour consulter les dates et horaires.

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