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Manuela Marques

PAntoine Isenbrandt
@12 Jan 2008

Photographe et vidéaste, Manuela Marques conçoit des images marquées par l’ambiguïté. Plutôt que de chercher à restituer le réel, elle joue avec les zones d’ombre, les signes à peine perceptibles, les tensions. Elle réussit ainsi à dégager une présence accrue et inquiète des choses et oblige le spectateur à s’interroger sur ce qu’il voit.

Dans des objets constellés de lumière et frappés d’une immobilité vertigineuse, dans des corps sans visages et sans regards qui semblent vouloir nous éviter (nous faisant, de fait, presque passer pour d’antiques Gorgones), dans les éléments que photographie Manuela Marques dorment des bribes de récits, des morceaux d’histoires en attente d’être assemblés, tissés, fantasmés.

Troisième volet à la galerie Anne Barrault d’un travail «en paravent», qui nous donne à voir des clichés au caractère unique et individuel, refusant les approches sérielles et taxinomiques qui font que ce travail fait œuvre dans sa cohérence.

Dégageant un grand silence générateur de gravité, évitant les indices temporels, les photographies semblent se centrer sur la présence des choses et leur expressivité dans les tensions qui se dissimulent à un regard flottant. Celle d’une tête de cheval dont la fougue est figée dans la céramique par exemple, alors qu’au dessus d’elle, entre ombre et clarté, la nargue un miroir où le reflet en personnage central, laisse apparaître un flou comparable à ceux des fenêtres des trains qui par leur trop grande vitesse nous empêchent de distinguer le paysage extérieur.

Vrais ou faux instantanés, captures ou reconstitutions, les clichés manifestent de la part du photographe une volonté de ne pas saisir les signes et manifestations d’une humanité. Une femme enceinte nous tourne le dos, laissant apparaître la manifestation la plus probante de son «iconographie» sans pour autant nous lier dans un rapport humain à son regard. Cette femme est «présentée», c’est sa présence, qui en photographie ne se rapporte pas à un registre réaliste ou référentiel, qui nous interpelle et pose un dialogue.

Ce n’est pas le fruit du hasard si les photographies n’ont pas de titre, cela implique que le regardeur investisse les clichés en les nommant, en se les appropriant et -étape ultime- en leur fabricant une histoire. Manuela Marques n’a-t-elle pas confié à Christine André que «la neutralité du visiteur et de son regard sont exclues» (Lire l’interview)? Le caractère ambigu des images, leurs aspects d’indécision et d’inachèvement laissent le spectateur en suspension, sont-ce des fins ou des commencements ? L’aurore ou le crépuscule ? Un mouvement ou une pose (pause?) ? Autant d’éléments pris dans ce que François Quintin (directeur du Frac Champagne-Ardennes) a appelé «l’instant indécisif» et qui excitent les émotions en jouant sur le sensible.

La relation discursive qui existe entre les images passe par une omniprésence de valeurs assourdies de bleu, de jaune et de gris mais aussi et surtout par la construction de ces images en tensions et inversions, du cadre vers le hors cadre, du visible à l’invisible, de la gravité vers l’apesanteur, de l’avenir vers le devenir. Au sein de cette esthétique du fragment et de la perte de contexte, les zones d’ombres font travailler la pensée et suscitent une interrogation sur le mystère crée par la réalité elle-même.

Un cliché montre une rangée de chaises dorées surgissant dans l’espace en formant une forte oblique, la lumière rasante qui se pose sur les barreaux des dossiers fabrique des verticales qui allument l’image comme autant de petits néons dont le jaune vient complémenter le bleuté du fond de salle.
Or, le premier plan de cette photographie, celui qui nous est le plus immédiat, celui par qui le regard «entre», est obscur, noir. Ce n’est qu’au lointain, à l’arrière plan que la lueur habite l’image, comme une vérité inatteignable qui se laisserait cependant entrapercevoir, comme une œillade narquoise du cliché qui nous défierait de «sortir de l’ombre» pour entrer dans la «lumière» des images.

Manuela Marques semble vouloir capter des instants d’éternité, l’articulation temporelle décisive entre deux moments, ce qui va faire «l’instant fécond» ou ce qui se produit après l’acmé, autrement dit la latence d’un devenir ou les embryons de cette latence. Rechercher l’expressivité des choses, se focaliser sur des mouvements à peine perceptibles, capter des tensions qui échappent au regard, ses photographies nous questionnent sur les capacités à ressentir et à voir ce que l’on regarde.
Ici la photo ne montre rien, ne constate pas ni ne dévoile, n’assène pas ni ne renseigne de façon univoque, mais au contraire, elle propose, portant une multiplicité d’interprétations qui entraînent invariablement le doute. Difficile de ne pas y voir une métaphore du fait que plus l’on voit, plus l’on connaît et moins on sait, plus on découvre et plus la connaissance semble mener aux errements.

Manuela Marques
— Sans Titre, 2006. Photographie Couleur. 120 x 175 cm.
— Sans Titre, 2006. Photographie Couleur. 95 x 120 cm.
— Sans Titre, 2006. Photographie Couleur. 115 x 165 cm.
— Sans Titre, 2006. Photographie Couleur. 120 x 175 cm.
— Sans Titre, 2006. Photographie Couleur. 75 x 110 cm.

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