Manuela Marques
Quels que soient les choses, personnes ou objets d’une photographie, par-delà les effets de réel prodigués par celle-ci, nul ne conteste l’effet de présence des éléments restitués. Sans jouer d’un paradoxe facile, il semble que ces deux effets ne coïncident cependant pas toujours, car si une forte impression de réalité entraîne nécessairement une présence, toute présence n’implique pas en retour un ancrage dans un référent, un renvoi à du réel identifiable, clairement visible, un sujet ultime de l’image. La présence serait cet étrange excès de significations diffuses inscrites à même la trame de l’image mais ne pouvant se résumer à la somme de ses parties. On pourra reconnaître ici le régime générique de toute image photographique, avec cette considérable différence que la notion de présence n’est pas un discours réaliste ou référentiel. Il suffit de penser à certaines photographies abstraites produites par les artistes des avant-gardes historiques pour comprendre que la présence peut se passer du mode référentiel.
Cela même lorsqu’il s’agit d’images photographiques ou vidéographiques, comme dans les œuvres de Manuela Marques, ayant pour sujet des scènes du quotidien. Faut-il, précisément, parler de «sujet», alors que loin de toute anecdote, narration ou récit ces photographies et vidéos semblent tout au contraire l’avoir écarter. De quoi peut-il s’agir dans ce bord de lit, de quoi est-il question avec ces personnages situés dans la pénombre, quel est l’état psychologique de ces visages d’hommes et de femmes, tout cela n’est aucunement aisé à comprendre. Par des moyens simples, parfois extrêmement réduits, la majorité des travaux de Manuela Marques possède cette capacité à dégager une présence accrue, inquiète, comme exagérément intériorisée, sans que l’on sache au final en quoi consiste le sujet. Or il y a toujours un sujet, aussi infime ou insaisissable soit-il. Chez Manuela Marques, ce n’est pas tant la restitution d’une trace ou la captation d’un morceau de réel qui importe – ce que développe nécessairement toute photographie – que cette présence repliée sur elle-même, mutique, qui ne se livre pas immédiatement. Présence d’autant plus forte qu’est accentué ce regard de détachement sur les choses et les êtres. Détachement qui ne les ignore pas, mais les tient comme en marge afin de révéler leur véritable teneur.