Communiqué de presse
Erick Derac
Manipulated, composed and designed
La photographie prend parfois le risque de se « décadrer », de devenir autre chose que de la photographie. Erick Derac appartient à cette famille de photographes atypiques. Les titres de ses séries expriment d’emblée une volonté de refondation (Sources, Chantiers), d’hybridation (Interférences, Contaminations, Partages d’espace), et d’exploration (Dérives) du médium photographique ; et ce, en le malmenant, en le violentant quelque peu (Dissolutions, Altérations, Caviardages). Si les intitulés empruntent tant au vocabulaire médical et laborantin, c’est bien que la démarche relève à la fois de l’opération chirurgicale et de l’expérimentation.
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Derac innove en mettant au point un protocole technique pour le moins surprenant. Dans un premier temps, et d’une manière certes très «classique », il cible précisément un lieu à photographier. La prise de vue cadre le sujet – souvent des zones industrielles en cours de réhabilitation – d’une manière très composée, stricte, mentale. Mais le cliché réalisé ne constitue qu’un matériau. La seconde phase peut alors débuter, sur la table de l’atelier où l’artiste entreprend un véritable travail de miniaturiste. Derac intervient dans le corps sacro-saint de la photographie : l’ektachrome. Mais c’est un corps mort, le numérique l’ayant relégué au rang d’objet quasi-préhistorique. Le geste de Derac est celui d’un iconoclaste, au sens où, paradoxalement, « il détruit parce qu’il veut sauver » (Marie-José Mondzain). »
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Dans les Leurres, 2007, l’ektachrome est poinçonné, criblé de toutes parts, si bien qu’il devient impossible de voir l’image, comme dans les Partages d’espace, dont les « palissades » occultent le paysage initial. Les Points de vue, 2007, quant à eux, apparaissent comme la série jumelle et inversée des Leurres, puisqu’ils sont réalisés avec leurs chutes poinçonnées. (…) Mais Derac dépasse bientôt cette seule volonté d’abstraction initiée avec les Contaminations. En effet, depuis les Partages d’espaces, il ne ressent plus le besoin de photographier : la première phase du processus est éliminée. Dans la récente série Tu n’es poussières, 2007, l’ektachrome disparaît. Ne subsistent que des cheveux, poussières, minuscules fragments de gélatines et d’ektas collés générant des compositions épurées, lesquelles rappellent la peinture de Joan Miró. Le procédé est photographiquement minimal en ce qu’il fait écho à l’essence même du procédé photographique, celui d’une empreinte moulée par la lumière. Mais si la composition est scannée, puis tirée et accrochée comme une photo, en est-ce toujours ?
Extrait de « La photographie au scalpel », texte de Richard Leydier, contribution au catalogue Érick Derac – Manipulated, composed and designed.