Antoine Loudot, Céline Marin, Maxime Parodi, Arnaud Rolland
Manifestement sans fin ou la procession des grands menteurs
«Tu vois la mer? Ce n’est pas à ça qu’elle doit ressembler!» (Federico Fellini, Je suis un grand menteur, 2003).
Que ce soit par des situations absurdes, de nouveaux espaces vierges à parcourir, la réécriture de scènes mythiques ou encore la création d’un monde en décrépitude, le rapport au réel et à la réalité de la création elle-même est devenu l’un des points essentiels de nos discussions à l’origine de ce projet. Face à la prolifération de moyens permettant de reproduire la réalité qui nous entoure, encouragée entre autre par les avancées numériques, défendre l’importance d’une pratique plastique permettant de fabriquer et penser une réalité plutôt que de produire un trompe l’œil qui, à la manière d’un miroir déformant, ne serait qu’une pâle copie de ce que l’on croit percevoir nous est apparue cruciale.
Fellini, qui a fait du cinéma un Théâtre, se retrouve dans l’idée foucaldienne «la volonté de vérité contre celle là même», le fait qu’il ne soit pas question de fabriquer quelque chose qui ressemblerait à une autre l’a placé comme personnage central et inévitable de cette réflexion. Le projet abandonné de Fellini, Le voyage de G. Mastorna nous semble être le parfait point de départ de la mise en place d’un espace de réflexion et de création à la fois collectif et individuel. C’est juste après avoir terminé un de ses chefs-d’œuvre, Huit 1/2, que Federico Fellini se lance dans le plus ambitieux de ses projets: Le Voyage de G. Mastorna. «Génial, mais démesuré et coûteux, le film ne verra jamais le jour et restera le grand regret de Fellini. De rares traces subsistent néanmoins: des essais de Mastroianni pour le rôle-titre, quelques photos de tournage et un synopsis magnifique, écrit en collaboration avec Dino Buzzati et Brunello Rondi.» (Ed. Sonatine, Post-face, Le voyage de G.Mastorna, 2013).
Ce champ si vaste et surtout si vierge de toute iconographie laisse libre court à chacun d’entre nous d’y apporter son interprétation, son univers. Tout est à y réinventer. Par le biais de dessins, sons, volumes ou encore vidéos, nous avons la volonté d’articuler un univers différent, et à la fois si proche de celui imaginé par Fellini, afin d’insuffler à l’œuvre une existence plastique qu’elle n’a jamais eu jusqu’alors (si ce n’est peut-être dans une bande dessinée avortée de Manara). Chacun de nous a le loisir de donner sa vision des scènes relatées dans le matériau source ou encore d’y apporter sa subjectivité, ses propres bagages dont émergeront une réécriture, un nouveau scénario, un nouveau voyage, celui de l’exposition. C’est donc dans une volonté d’exploration d’une fiction restée à son stade embryonnaire de création que nous souhaitons vivement construire cette exposition.
Au-delà de l’idée séduisante de donner vie à un projet délaissé dans une Maison Abandonnée, la Villa Cameline a un air qui nous est familier. Elle fait partie de ces lieux qui s’offrent rapidement à notre vue et convoquent en nous des souvenirs: ses murs portent la marque de couches successives comme autant de passage en son sein. A l’instar de Fellini mettant en scène G. Mastorna dans une sorte de ville-limbes, variante onirique et délirante de la réalité terrestre, nous souhaiterions intégrer notre projet dans l’espace de la Villa et écrire un nouveau souvenir en amenant les visiteurs de salle en salle vers une fin qui n’est pas une conclusion.
De ce fait, il nous apparaît évident qu’il faille nourrir cette intention de nouvelles pièces, et ainsi engager un processus créatif produisant un ensemble juste et cohérent en rapport au lieu tout en nous laissant surprendre par ses murs. Un travail de réécriture accompagnera et structurera nos productions, ainsi les frontières entre l’univers du cinéaste et les nôtres se dissiperont pour laisser place à un nouveau voyage, celui de l’exposition. La finalité de ce projet est de produire une exposition modulable et en constante évolution au fil des espaces qu’elle traversera.
Céline Marin, Antoine Loudot, Maxime Parodi et Arnaud Rolland
Scénographie
Corentin Buchaudon
Vernissage
Vendredi 12 juin 2015 Ã 18h30