La volonté d’interroger une société basée sur ces rapports économiques n’est pas récente chez Julien Prévieux, elle constitue le socle de son expérimentation artistique. Il a déjà exposé à la Galerie Jousse entreprise le résultat de sa campagne de non-motivation auprès des entreprises proposant des emplois sous-payés. Le système broie les individus, les mercantilise: Julien Prévieux entre en résistance et, à son échelle, pervertit la logique de dévalorisation.
Le monde change, l’économie change, l’économie change le monde. Julien Prévieux a pris conscience de la dislocation des idéologies et des logiques économiques et politiques passées et c’est donc loin de tout militantisme, mais avec une férocité bien palpable, qu’il rend compte de notre contemporanéité économique. En questionnant les différentes approches théoriques et pratiques de l’histoire de l’économie, il cherche à sonder les ramifications nouvelles et totalisantes nées de l’échec des doctrines.
Au centre de l’espace d’exposition de la Galerie Jousse entreprise se trouve une sculpture d’aspect minimale. Le reste de l’installation s’organise autour d’elle. Elle est composée de deux parties semi-circulaires reliées par une poutre. Chacun des deux éléments est formé d’une banquette où le visiteur peut s’asseoir et d’une structure verticale qui fait office de dossier.
Plus que d’une recherche d’interactivité entre le spectateur et l’œuvre, le prototype de Julien Prévieux résulte d’un détournement symbolique. Cette sculpture est en effet la réplique du premier superordinateur conçu par Seymour Cray pour la NSA à la fin des années soixante-dix. Sa puissance et son design en firent le moteur d’un positivisme scientifique et économique, la possibilité d’une amélioration à venir pour l’espèce humaine.
Julien Prévieux se réapproprie donc la forme de cette machine, qu’il reconstruit artisanalement, tout en la vidant de son fond, de sa fonction. D’une bête de productivité et d’efficacité, il obtient une coquille vide, une sculpture productrice tout au plus de symboles, une simple banquette sur laquelle les visiteurs peuvent se reposer et observer le reste de l’exposition. Il s’agit d’une œuvre suggérant l’arrêt, la pause, la stagnation.
Confortablement assis sur ce vestige de technologie, le visiteur découvre de grands schémas compliqués où des éléments s’imbriquent les uns dans les autres. Cet ensemble intitulé A la recherche du miracle économique reprend des textes fondateurs de la théorie économique, comme ceux de Karl Marx, d’Adam Smith ou de David Ricardo.
Tel un spécialiste du décryptage d’espionnage, Julien Prévieux extrait de ces textes, pourtant tous prophétie du bonheur, les prédictions des échecs à venir. L’artiste y met à jour une ribambelle de notions et de références aussi bien économiques que politiques révélatrices de scandales et de chaos.
De l’autre côté du module : une série de peintures de géométrie abstraite. D’un aspect très graphique, elles renvoient toutefois aux classiques du genre, à Albers par exemple. Cette fois, Julien Prévieux se réapproprie les formes décoratives utilisées sur les couvertures de livres de sciences économiques des années soixante-dix et quatre-vingt. Elles sont isolées sur une toile et doublées d’une légende, d’un slogan, comme on nomme un graphique ou un tableau statistique. Il interroge ainsi la manière dont les formes produisent des références inconscientes.
Pour finir, Julien Prévieux présente La Malette n°1. Elle comprend des tampons sur lesquels sont frappés des fragments d’empreintes digitales. En 2006, lors d’un meeting, l’artiste tend un stylo impeccablement nettoyé à Nicolas Sarkozy pour lui faire signer un document. Il recouvre ensuite le stylo d’une poudre utilisée dans les services d’investigation criminelle et en isole les empreintes. Une fois transférée sous forme de tampons, elles deviennent exploitables à tout moment. Julien Prévieux met en garde ici contre les dérives d’un système de contrôle biométrique toujours plus poussé et de ses relations avec l’économie mondialisée.
Julien Prévieux se fait maître d’un art du détournement, qui chahute autant les mythologies économiques que les formes artistiques, qu’il n’hésite pas à vider de leur substance d’origine pour les confronter à un échec qui n’avait pas été annoncé.
Julien Prévieux
— Have a Rest, Prototypes 2, 2007. Sycomore, hêtre, cuir, medium. 250 x 350 x 180 cm.
— FAQ, 2007. Série de peintures acrylique sur toile. 75 x 90 cm.
— A la recherche du miracle économique, 2007. Encre et impression jet d’encre sur papier. Dimensions diverses.
— Malette n°1 (Ministre de l’intérieur), 2006. Technique mixte.