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Maison Rouge. Antoine de Galbert

En quelques années, la Maison Rouge s’est affirmée comme un lieu original, où l’art contemporain dialogue avec l’art brut et les arts premiers. Rencontre avec son fondateur, Antoine de Galbert, collectionneur tous azimuts et chantre du décloisonnement des arts.  

Elisa Fedeli. Comment a commencé votre collection personnelle?
Antoine de Galbert. Elle a commencé quand j’ai ouvert une galerie à Grenoble il y a environ 25 ans. Au début, je collectionnais de petites choses, comme des livres et des aquarelles. Dans ma galerie, j’exposais de jeunes artistes de la région ou des artistes plus connus, comme Ben et Jean-Michel Alberola. J’allais aussi à Paris chercher des artistes comme Tetsumi Kudo et Witkin. Electron libre et autodidacte, je travaillais déjà dans le même esprit qu’à la Maison rouge: je suivais déjà une ligne subjective, intérieure, qui n’était ni formelle ni historique. Je me promenais entre les différents mouvements, entre des artistes connus et inconnus, entre des jeunes et des moins jeunes.

Quels sont aujourd’hui les grands ensembles qui se dégagent de votre collection?
Antoine de Galbert. Il y a l’art contemporain, au sein duquel je privilégie une dimension d’humour et de dérision, voire de provocation. Il y a un peu d’art moderne. Il y a de l’art populaire, que ce soit de l’art religieux, de l’art primitif ou de l’art brut. C’est une collection tous azimuts.

Quels sont vos derniers coups de cœur?
Antoine de Galbert. A la FIAC cette année, j’ai acheté un grand bonhomme en spaghettis de Théo Mercier et un portrait photographique d’Antonin Artaud par Man Ray. Je n’ai pas de frontières.

N’y a-t-il pas des médiums qui vous attirent plus que d’autres?
Antoine de Galbert. Non, pas du tout. Mais j’achète peu de peintures, sans doute parce que j’aime trop la peinture ancienne et l’intelligence de la main pour croire à la peinture contemporaine. J’adore les derniers grands peintres de l’histoire, comme Eugène Leroy.

La Maison rouge, dont vous êtes le fondateur et le président, a été créée en 2004. A cette époque en France, c’était encore un exemple rare de fondation privée d’art contemporain. Comment a évolué cette situation?
Antoine de Galbert. Aujourd’hui, il n’y a plus vraiment de débats car le domaine public s’est aperçu qu’il avait besoin de l’argent privé. J’aurais espéré que le débat s’oriente dans un sens différent et qu’on s’intéresse davantage à ce que le privé peut apporter d’intéressant. Le privé n’est encore qu’un moyen de financer le public.
Ce qui s’est développé en France est principalement le mécénat d’entreprise, avec de grands groupes qui financent leurs projets grâce aux résultats de leur entreprise, comme LVMH ou Galeries Lafayette. Le mécénat des particuliers est une attitude très différente, mais encore peu développée.

La Maison rouge a ouvert ses portes en 2004. Défend-elle une ligne artistique?
Antoine de Galbert. Non, j’essaie plutôt de redéfinir ce qu’est l’art contemporain. Pour moi, c’est tout ce qui se passe à un moment précis à un endroit donné. L’art peut regrouper toutes sortes de gens, de mouvements et de couleurs. Tout est mêlé. Je ne suis ni pour ou ni contre l’art contemporain, je ne milite pas pour une forme plus qu’une autre. Je milite pour le décloisonnement de l’art en général. A la Maison rouge, on essaie aussi de sortir de l’amalgame actuel qui associe art contemporain et argent. Parfois on est dans le marché, avec une exposition comme Warhol TV par exemple ; parfois on expose l’inconnu. Notre attitude est celle d’une totale liberté. On essaie également d’exposer des artistes étrangers, peu connus en France.

L’exposition actuelle emprunte son titre à la nouvelle de Kafka, «Les recherches d’un chien». Elle met en évidence l’engagement des œuvres dans la société. Pour vous, le message politique d’une œuvre est-il fondamental?
Antoine de Galbert. J’aime que l’art soit politique, au sens large du terme, qu’il soit ancré dans le monde. Les artistes sont des interfaces qui nous montrent le monde tel qu’on ne le voit pas. Les avant-gardes étaient totalement impliquées ; elles ont réagi aux horreurs de la guerre et au conformisme de la bourgeoisie et de sa peinture de chevalet. Cétait une époque passionnante que j’aurais aimé vivre. Une grande part de l’art contemporain a ensuite répété ces formes et a généré, selon moi, une sorte d’académisme.
Par ailleurs, je ne m’intéresse pas tellement aux deux grandes tendances qui se sont mises volontairement en retrait de la société: l’art abstrait et l’art conceptuel.

Pourquoi avoir choisi l’idée de collection privée comme moteur de la programmation?
Antoine de Galbert. C’était le fondement de départ. A l’époque où j’ai créé la Maison rouge, les collections privées n’étaient pas montrées dans les musées français. Elles l’étaient, au contraire, dans les cultures protestantes, comme l’Allemagne où des collections privées sont à l’origine des musées. En choisissant ce thème, on a été un peu visionnaire car aujourd’hui on voit des collections privées dans les musées et les centres d’art français. Le cloisonnement entre amateurs et scientifiques est en train de s’estomper.
C’est la même chose pour l’histoire de l’art. Auparavant, la France avait ses écoles mais elle se rend compte qu’aujourd’hui dans le monde l’art n’est plus une académie des avant-gardes. Les artistes chinois ne savent pas qui est Marcel Duchamp.

Les expositions de la Maison rouge sont en partie basées sur les pièces de votre collection. Pourquoi avez-vous ressenti le besoin d’exposer votre collection, de l’offrir au public?
Antoine de Galbert. En réalité, je l’ai encore très peu montrée. Une collection, c’est comme le vin: si vous le buvez dans l’année, ce n’est pas la peine d’acheter du bon vin! C’est le temps qui vous fait devenir collectionneur. Il y a des collectionneurs qui achètent depuis trois ans et qui décident de créer un musée. Mais c’est absurde! Plus on attend, plus c’est passionnant. Le plaisir est d’être confirmé par le marché et par l’histoire.
Cette année, je fais trois expositions de ma collection. La première, au Musée des Beaux-Arts de Lyon, est une confrontation avec les œuvres du musée. Une représentation du Déluge datée du XIXe siècle m’a inspiré une salle entièrement consacrée à l’idée de la fin du monde et de l’impossibilité de vivre ensemble. Elle dialogue avec quatre photographies de ma collection, représentant des explosions nucléaires, et avec une installation de Clemens Von Wedemeyer décrivant un studio de télévision après un débat avorté. Il y aura aussi des salles sur le Christ, sur la mort, sur la folie et sur le corps avec des artistes contemporains de ma collection, comme Christian Boltanski, Lucio Fontana et François Morellet.
Je participe ensuite à une exposition à Berlin consacrée à la scène française, avec notamment des œuvres de Celeste Boursier-Mougenot, de Barthélémy Toguo, Damien Deroubaix, Stéphane Thidet … Enfin, à Beaufort-en-Vallée, je participe à une exposition sur le thème du cabinet de curiosités, au sein de la collection de Joseph Denais.

Comment choisissez-vous les collections que vous exposez à la Maison rouge? Qu’apprenez-vous au travers des relations que vous tissez avec d’autres collectionneurs?
Antoine de Galbert. On choisit d’abord de vraies collections, c’est-à-dire celles qui ne sont pas constituées par des conseillers mais directement par le collectionneur.
On aime aussi les collections hétérogènes, qui rassemblent à la fois du connu et de l’inconnu, comme celles de Jean-Jacques Lebel et d’Harald Falckenberg que nous avons exposées. Si on ne collectionne que de l’inconnu, c’est qu’on n’a pas vraiment de vision ou de talent. Au contraire, si on n’achète que du connu, c’est qu’on est dans une posture sociale. Nous pouvons renoncer à exposer des collections «tableaux de chasse» car l’argent est nécessaire mais pas suffisant.
J’aime par ailleurs apprendre au contact des autres collectionneurs. Ils m’enseignent leur manière d’être collectionneur. Certains tentent parfois de faire une relecture de l’histoire de l’art. C’est parfois absurde et allumé, mais toujours passionnant.
A la Maison rouge, j’aime montrer ce que les historiens n’ont pas vus. Leur obsession de tout comprendre et de tout classifier explique qu’ils ont laissé passer beaucoup d’artistes. Prenez par exemple Bernard Réquichot: au Centre Pompidou, il est exposé dans un recoin car ils ne savent pas où le situer! Je pense qu’il y a des relectures nécessaires car on a écrit l’histoire du XXe siècle trop tôt.

Qu’en est-il de l’art brut?
Antoine de Galbert. Les musées français ont raté les grandes figures historiques de l’art brut, telles qu’Aloïse, Adolf Wölfli, Henry Darger et Augustin Lesage. L’art brut a été ignoré, jusqu’à la création récente du LAM à Villeneuve d’Ascq.
J’aime le mélange de l’art brut avec l’art contemporain. A la Maison rouge, on a exposé Augustin Lesage avec Elmar Trenkwalder, la collection d’art brut d’Arnulf Rainer, ainsi qu’Henry Darger. J’ai beaucoup aimé l’exposition inaugurale du LAM, «Habiter poétiquement le monde» qui mêle l’art brut et l’art conceptuel.

Lire la critique de l’exposition «Les recherches d’un chien»

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