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Magpie Mirabilia

Les premiers moments du visiteur dans l’exposition Magpie Mirabilia (La pie des merveilles) sont l’expérience directe d’un espace sensoriel, enveloppant et généreux. La salle d’exposition est plongée dans la pénombre, entièrement recouverte — jusqu’à disparaître — de papiers peints désuets, de lourdes tentures et d’une moquette de laine dans laquelle nos pieds s’enfoncent légèrement. Au centre, un grand lit à baldaquins (Et si les rêves flamands rapetissaient ?), métamorphosé en scène de théâtre pour enfants donne à l’ensemble une tonalité bien particulière, celle du sommeil, de la psyché, et de ses changements d’état…
 
Cinq installations structurent l’espace, lui-même unifié par une surcharge décorative aux accents baroques.

Au centre, l’un des versants du grand lit est utilisé comme écran de projection, les draperies faisant office de rideaux de théâtre. Support du film Et si les rêves flamands rapetissaient ? (2008), dont la trame narrative désarticulée nous échappe, il laisse apparaître les bribes d’un récit.
La nuit est tombée, une petite fille, l’air égaré, se maintient dans une pose souveraine, défilant sur les rythmes d’une musique militaire. Inquiète, mais sage. Peu après, dans un lit semblable au lit réel, un vieux couple se réveille, se dégageant d’une lourde couverture informe. Présent dans le film et exposé à l’entrée de l’espace, cet objet insolite confectionné par l’artiste semblerait figurer l’épaisse étoffe des songes, ou la matière même de l’exposition.

La multiplication des raccords établis entre les éléments d’une même installation (motif de papier peint, meuble, photographie, etc.) abolit entre eux toute forme de hiérarchie. Tous s’enchevêtrent et se mêlent les uns aux autres avec une grande finesse, créant des liens subtils entre les supports mis en œuvre.

Présentée dans un espace relativement isolé, l’installation Défaire l’héritière (2007), se caractérise par une projection vidéo laissant apparaître sur un papier peint désuet la scène reconstituée d’un repas familial.
Les parents de l’artiste se font face, attablés dans un intérieur richement décoré, éclairé par un lustre. Ce repas s’inscrit dans un lieu étrangement semblable à l’environnement extérieur du film, à savoir l’espace réel d’exposition: on y trouve la même table, recouverte d’un miroir, le même lustre qui, de notre côté tourne lentement sur lui-même, suspendu sous la table. Entre l’image projetée et l’espace tridimensionnel s’instaure une symétrie soulignée par la présence du miroir – dans lequel le film se reflète – et par la position insolite du lustre.

Défaire l’héritière révèle ici un mode de création propre à Marie Hendriks, doublant par ailleurs l’enchevêtrement des supports d’un enchevêtrement des temporalités. Accompagnée d’un extrait de l’opérette Hansel et Gretel de Humperdink (interprété par l’artiste elle-même), la scène du repas est entrecoupée d’images d’enfance puisées dans un répertoire personnel de photographies et de souvenirs : un plateau d’argent, une maison en sucre, une promenade dans les bois…
Ces fragments d’une mémoire diffuse gravitent autour de la scène finale du dessert, dans laquelle les parents de l’artiste dégustent la tête de leur fille reconstituée en glace à la fraise. Imbrication de symboles et de systèmes d’échos infinis, l’œuvre oppose une résistance à toute tentative d’emprise intellectuelle.

L’enchevêtrement des dispositifs rencontre enfin la fascination de l’artiste pour le monstrueux, les changements d’état, la métamorphose.
Le film Do you love me now ? (2005), suit les mouvements d’une jeune femme arquée en position de pont, préparant un étrange déjeuner sur l’herbe. Celle-ci s’avance lentement vers une nappe de dentelle blanche, pour y servir une assiette de papillons, puis de mouches mortes saupoudrées de sucre glace.
Les images défilent sur le sol, superposées à une nappe toute semblable, à proximité de lourds rideaux évoquant la chaleur d’une peinture flamande. Les mouvements grotesques de la jeune femme, dont l’étrangeté est accentuée par une alternance de gros plans sur son buste tordu, sont accompagnés du refrain disloqué d’une chanson de Marilyn : I Wanne Be Loved By You…
Marie Hendriks utilise ici l’installation, un procédé proprement hybride, pour souligner l’étrangeté de l’autre ou la menace qui plane sur la rencontre amoureuse. Plus loin, deux photographies évoquent un récit lugubre (Put it behind, 2007): une femme, la tête — tranchée? — d’un homme posée sur une assiette… 

De l’autre côté de l’écran sur lequel sont projetés Les Rêves flamands, l’intérieur du grand lit à baldaquins est transformé en une imbrication de tiroirs, desquels débordent des tissus précieux, entourant un endroit clos et protégé – une petite boîte tapissée de velours vert, qui figure également dans le film. Cette couveuse de luxe serait le cœur de l’exposition, cristallisant les multiples raccords,  tous étroitement liés au sommeil et au rêve.

Un crâne de cerf, des bijoux, des abeilles mortes, des papillons, des mouches, une tête glacée, une femme tordue, un vieux placard, de la dentelle, des fleurs tressées, la queue d’un poison, une fanfare…
Résistant à toute tentative de lecture directe, l’exposition de Marie Hendriks met à l’honneur l’hybridation, le mélange, et les jeux de miroirs, elle souligne de manière cruelle la vanité de nos stratégies de contrôle, si souvent appliquées à l’art par le discours critique.

Marie Hendriks
— Le Fantôme de l’héritière, 2007. Photo numérique. 90 x 120 cm
— Suusje et ses rêves flamands, 2008. Photo numérique. 80 x 120 cm
— De Dames Van Gemert, 2007. Photo argentique. 153 x 120 cm
— Et si les rêves flamands rapetissaient…?, 2008. Installation vidéo, matériaux divers : lit magique, baldaquin, moquette, chaises pour enfants. Dimensions variables
— Put it Behind, 2007. Photo numérique. Diptyque 2 x (80 x 120) cm

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