Marina Abramovic reste aujourd’hui associée au travail de body art qu’elle a mené avec Ulay entre 1976 et 1988. Pendant cette période ils n’ont cessé de questionner les identités sexuelles et les rapports de forces qu’ils sous-tendent au travers de performances en galerie ou dans des espaces publics. Une trentaine d’années après le début de ses expérimentations, l’artiste poursuit son œuvre sans concession tout en tenant compte des innovations technologiques actuelles. Pour l’exposition Magnetic Dance, Marina Abramovic présente une série de photographies ainsi qu’une installation vidéo.
Les photographies, indéniablement tournées vers un corps mis en fiction, s’inscrivent dans la droite ligne d’images d’un body art violent. Image de scarifications sur un ventre de femme, image de l’artiste dans une jungle avec un couteau à la main, image de visage immergé sous un tas de copeaux de verre sont autant de perceptions du corps intime exposé à la société.
Contrairement à ses happenings radicalement dénonciateurs d’une certaine phallocratie des années soixante-dix, l’artiste choisit aujourd’hui un mode d’action plus équivoque et métaphorique pour stigmatiser une situation qui reste pour elle inacceptable. Davantage de références à l’intime ou à la subjectivité sont mobilisées pour faire entrer le visiteur dans un monde énigmatique et onirique, par moment visuellement proche des peintures les plus sombres de Velasquez ou Goya.
L’expérience directe du corps du spectateur n’est pas abandonnée pour autant. La vidéo Magnetic Dance nous invite à un cours de danse mambo : d’abord à chausser une paire de mocassins magnétiques, puis à imiter les mouvements de l’artiste projetés sur un écran géant.
L’installation devient participative, mais seule la présence du spectateur est concrète. Marina Abramovic joue le rôle d’une femme fatale désabusée effectuant avec un détachement mécanique les mouvements d’une danse supposée suggestive. En voulant imiter ses mouvements, le visiteur ne peut qu’expérimenter la lourdeur de sa propre démarche entravée par ses chaussures qui adhèrent à la piste de danse magnétique.
L’artiste-femme-fatale nous domine. Elle se meut avec aisance alors que nous sommes absorbés dans nos tentatives ridicules de bouger nos pieds. Plus que jamais elle retrouve métaphoriquement sa position d’être supérieur dont la modernité l’avait — semble-t-il — déchue. Elle redevient seule capable d’agir jusqu’à atteindre au sublime dont l’homme sans qualité est radicalement exclu. Est ainsi ironiquement dénoncée l’hypocrisie des travaux contemporains qui prétendent placer l’artiste et le spectateur au même niveau dans le dispositif de l’exposition. Marina Abramovic met aussi en scène l’impossibilité de communiquer par le corps autre chose que des rapports de forces. Expériences des mouvements, mais aussi expérience de la téléprésence d’un corps accessible par l’écran sont ici convoqués.
Se joue ici encore l’implacable constance des impossibilités. L’artiste nous engage dans un manège pervers tournant sur lui–même comme une machine folle sans issue.
Marina Abramovic
Rue Vieille-du-Temple
— Vittoria, 1997. Photo couleur contrecollée sur aluminium. 125 x 125 cm.
— Image of Happiness, 1997. Photo couleur contrecollée sur aluminium. 125 x 300 cm.
— Lips of Thomas, 1975-1997. Photo couleur contrecollée sur aluminium. 125 x 125 cm.
— Rhythm 10, 1973-1997. Photo couleur contrecollée sur aluminium. 125 x 150 cm.
— Dozing Consciousness, 1997. Photo couleur contrecollée sur aluminium. 125 x 125 cm.
— Mambo à Marienbad, 2001. Photographie couleur contrecollée sur aluminium. 125 x 155 cm.
Vidéo performance
— Mambo, 2001. 1 DVD. 25 min 33 sec.
— Magnetic Dance, 2002. 1 tapis, 2 paires de chaussures. 200 x 200 cm.
Rue de Saintonge
— Modus Vivendi (Pieta), 1993. Photo couleur contrecollée sur aluminium. 180 x 180 cm.
— Dragon Heads, 1990-1992. Photo couleur contrecollée sur aluminium. 180 x 180 cm.
— The Biography, 1992. Photo couleur contrecollée sur aluminium. 136 x 136 cm.