La série «Magie de l’art photographique» se fait l’historique de l’appareil photo et des évolutions techniques qu’il aura connues au fil du temps, tout en proposant un riche inventaire des différentes pratiques du photojournalisme. Ces clichés nous embarquent donc dans une démarche généalogique où Joachim Mogarra propose une classification des appareils, qu’il décline d’ailleurs en différents genres et espèces, comme dans un catalogue spécialisé.
Cette démarche originale apparaît surtout comme une véritable mise en abyme, puisque c’est l’appareil photo, outil servant habituellement à prendre des clichés et demeurant invisible à la représentation, qui se trouve désormais au centre des tirages. Nos regards se focalisent en effet sur lui, et l’appareil photographique se trouve également confronté à lui-même.
Certains tirages proposent une présentation poétique et naïve de l’appareil photo, en le transformant en bâtiment (Maison), en objet (Pare-soleil), ou en lieu de loisir (en piste de ski notamment dans Recyclage). Effectivement, chaque cliché de «Magie de l’art photographique» est repeint de la main de Joachim Mogarra, et complété de commentaires: les appareils sont ainsi transformés, maquillés et détournés, et l’artiste connote ses clichés de jeux humoristiques s’amusant avec le sens des mots.
Le cliché Astronome, par exemple, nous invite à la rêverie, et à garder la tête dans les étoiles. L’art de la photographie apparaît dès lors comme une découverte d’horizons inconnus et de nouveaux mondes. Sa fonction consiste à élargir notre perception et nos perspectives, en nous décentrant de notre petit «moi» et de son microcosme, et en percevant un monde désormais plus vaste.
Dans cette vision poétique de la photographie enfin, le tirage Surréaliste représente l’appareil photo comme un train à vapeur. Il s’agit alors de rendre hommage à ce courant fondateur du XXe siècle, dont Man Ray fit partie, et qui aura largement contribué à donner une crédibilité à l’appareil photographique dans son usage artistique.
Joachim Mogarra se mue aussi en technicien de l’appareil photo, en expliquant ses mécanismes et ses rouages. L’Appareil motorisé s’accompagne en effet d’un mode d’emploi de la machine. On voit que la main de l’homme est encore nécessaire à son fonctionnement, mais l’appareil semble davantage se rapprocher d’une véritable machine-à -vapeur (et renvoie alors au cliché Surréaliste), ou d’une usine industrielle. Mais même dans cette présentation relativement savante de l’appareil photo, Joachim Mogarra ne perd pas son sens de l’humour et bombarde son cliché d’onomatopées, rendant ainsi compte du vacarme que produisait l’appareil d’antan, à l’image d’une machine vieillotte dont le mécanisme pourrait s’enrouer.
Surtout, les tirages de l’exposition mettent en lumière l’évolution des usages de l’appareil photo.
Dans Couteau-suisse, l’appareil est à nouveau détourné en objet trivial. Cela souligne bien entendu les expansions qu’il aura connues dans son emploi. Il se diversifie et devient notamment caméra-vidéo, en permettant de filmer quelques scènes de vie.
Sous-marine montre aussi ses évolutions techniques, et les prouesses qui l’auront rendu «water résistant». La Contre-façon dénote quant à elle un aspect plutôt négatif du succès de sa grande distribution: à l’image de n’importe quel objet, l’appareil est désormais détourné dans un paysage mercantile et économique vorace.
D’abord réservé aux professionnels et aux artistes, l’appareil s’est de plus en plus ouvert aux amateurs et au grand public.
Dans Démocratisation, Joachim Mogarra se fait ainsi sociologue, et rend compte des conséquences de la gigantesque diffusion des appareils photo dans la société de consommation. Il présente alors un pastiche humoristique de lieux de villégiature: accessible à tous, peu cher et rendu facile dans son utilisation, l’appareil photo devient jetable et nous suit en colonie de vacances ou en voyage. Son usage devient aussi vaniteux et superflu dans nos sociétés avides d’images et empruntes de voyeurisme: Autoroute info présente une sorte de schéma partant des grands médias et de leurs moyens grandiloquents, allant jusqu’à un cliché final éminemment futile.
Joachim Mogarra traite ici avec dérision (voire ironie et mépris) l’usage que les paparazzis font de la photo, en se contentant de photographier «deux mouches qui s’enculent».
Dans un registre bien plus grave, le tirage Guerre présente un appareil derrière des barbelés. Alors, la photo peut-elle résoudre les distances entre les hommes? Peut-elle jouer en faveur de la compréhension d’autrui, et dompter la peur de l’autre qui est généralement à l’origine des conflits? A moins que la photo, elle aussi, puisse être tenue prisonnière des barbelés.
Mais comment couvrir certains événements? Comment ne pas être censuré ou se trouver emprisonné? Tels sont les risques pris au quotidien par les photojournalistes, ces héros de l’image et de l’information. Cette réflexion se prolonge dans un questionnement sur l’Histoire, avec Soviet. La photographie est-elle par essence contestataire? Ou ne peut-elle pas également devenir un instrument du pouvoir établi, et se transformer en outil de propagande (culte de la personnalité, détournement du réel, abrutissement des masses)?
Joachim Mogarra expose également une série de portraits de chiens en céramique qu’il met en scène à la manière d’un casting de concours de beauté. Il capte ainsi ces figurines de porcelaine dans des poses frontales, sur fond neutre. Œil mouillé, truffe humide, babines tombantes, oreilles rabattues ou dressées, chaque race comporte ses propres caractéristiques. Poils ras, longs ou moutonnés, tachetés ou à la blancheur immaculée, portant parfois un collier ou un ruban, chacune joue de ses atouts pour avoir fière allure.
Mais ce qu’il y a de remarquable dans cette série, c’est que l’on a justement l’impression de lire différentes expressions sur les gueules de ces objets, qui demeurent pourtant complètement statiques et inanimés. En fait, le spectateur interprète leur allure, et se fait le juge de ce concours de beauté, en trouvant chaque figurine attendrissante ou fière, arrogante ou ridicule, noble ou risible.
Ainsi, à travers notre interprétation, nous surchargeons de sens l’objet que nous observons. Les Chiens de Joachim Mogarra semblent alors reprendre cette citation de Lamartine: «objets inanimés avez-vous donc une âme qui s’attache à notre âme et la force d’aimer…» Nous avons en effet le sentiment de nous retrouver finalement face à des êtres mus par un véritable conatus, par un désir de plaire, par une volonté de séduction. L’être réel, le chien «de référence», devient alors obsolète. C’est son double de céramique qui devient autonome et acquiert une existence propre.
La série «Abstrait calorique» propose enfin de gros plans d’aliments sur fond neutre. Joachim Mogarra emprunte ici la blouse du praticien et du diététicien, et s’interroge sur notre gourmandise et notre boulimie. Ses prises de vue sophistiquées visent à souligner les problèmes de comportement, d’éducation et d’hygiène alimentaire que connaissent nos sociétés, notamment à travers leur consommation excessive de calories.
L’Abstrait calorique 3 représente quatre carrés de chocolat complètement symétriques dans leur structure, mais dont les contours comportent quelques irrégularités. Celles-ci sont dues à des traces de dents, témoins de l’appétit humain et de la voracité de nos mâchoires.
L’Abstrait calorique 7 nous fait carrément saliver devant un immense caramel strié et boursoufflé, précieusement conservé dans son emballage. L’objet de convoitise est alors rendu inaccessible derrière sa vitrine, ce qui a pour effet, bien entendu, d’aiguiser notre appétit. Ce qui se dérobe à nous décuple ainsi notre désir.
Å’uvres
Joachim Mogarra
— Magie de l’art photographique (photographie surréaliste 2), 2011. Photographie noir et blanc, encre, rehauts au feutre Posca. 30 x 40 cm
— Magie de l’art photographique (la parallaxe), 2011. Photographie noir et blanc, encre, rehauts au feutre Posca. 30 x 40 cm
— Les Chiens (Sans titre n°2), 2010. Photographie noir et blanc. 120 x 100 cm
— Abstrait calorique n°3, 2012. Photographie noir et blanc. 108,5 x 129 cm
— Abstrait calorique n°4, 2012. Photographie noir et blanc. 108,5 x 129 cm