Avec sa dernière création, Labourer (2018), coproduite par l’Atelier de Paris / CDCN, la chorégraphe Madeleine Fournier (Cie Odetta) livre un solo physique. Un solo qui s’ancre dans son titre pour en tirer des mouvements. De ‘labourer’ à ‘la bourrée’, se déploie ainsi un enchevêtrement de significations. Avec des sens qui, comme l’explique Madeleine Fournier, croisent la mécanique, la croissance des végétaux, les cycles, la répétition, le continu et le discontinu. Sur une composition sonore de Clément Vercelletto — solo percussif, machinique et déconstruit —, Madeleine Fournier performe une pièce intense. D’abord vêtue de noir, androgyne aux souliers vernis, elle arbore des gants rouge vif. Ainsi que des pommettes et lèvres rouge vif. Qui soulignent sa peau diaphane de femme fine, aux yeux clairs, presque rousse. Des détails qui cessent d’être triviaux lorsque Madeleine Fournier explore le pas de la bourrée.
Labourer de Madeleine Fournier : solo chorégraphique et bourrée à trois temps
Défiant l’image de lourdeur associée aux cultures paysannes, du labour à la danse, Madeleine Fournier arpente les racines. Et se basant sur le pas de bourrée, envisagé comme figure archétypale, elle déroule un herbier de mouvements. Son solo alterne fermeté du talon claqué, presque viril, et légèreté des sauts, sur la pointe des pieds. Tandis que ses gants rouges lui donnent des allures de boxeuse, ou de communiante, toujours en mouvement. Derrière la bourrée affleurent les claquettes, le Moonwalk, la danse contemporaine, le travail à la chaîne… Tout un panel de gestes qui façonnent les corps. Et du ‘labour’ français au ‘labour‘ anglais [travail] se dessine alors l’empreinte physique de ce qui fouille et retourne la terre comme la chair. Laissant apparaître le corps féminin, entre jouissance et douleur du travail d’accouchement. De la racine latine ‘labor‘, Madeleine Fournier tire ainsi une pièce à la richesse aussi sémantique que chorégraphique.
Creuser le champ sémantique de la culture : les gestes du labeur et du féminin
De la culture à la culture, la pièce Labourer croise ainsi le cycle d’engendrement du vivant. Rituels de fécondité, le labour et la bourrée célèbrent quelque chose de profond. Et dans son solo Labourer, Madeleine Fournier laisse affleurer une forme de questionnement au féminin. Sexualité, maternité, travail… L’histoire d’une mémoire incorporée émerge, comme une pousse germant après avoir été âprement plantée. Pièce structurée en (au moins) deux temps, une série de films d’archives viennent également dévoiler une vie secrète des plantes. Comme autant de frêles danseuses, filmées en accéléré, explorant l’espace pour mieux s’enrouler autour d’une tige. Créant alors un contraste entre la rude fermeté du labour et la délicate croissance du végétal. Tandis que, vêtue de blanc et toujours gantée de rouge, la soliste reprend l’exploration de la texture du quotidien. Déconstruisant ainsi des gestes répétés de jours en jours, de générations en générations. Pour une pièce sensuelle et sensible, où affleurent autant la violence que la douceur des rapports entre le corps et la terre.
Itinéraire du spectacle (non exhaustif) :
– Festival Vivat la Danse ! 2019, Le Vivat (Armentières), le 26 janvier 2019.
– Festival Trajectoires 2019, Nouveau Studio Théâtre (Nantes), les 22 et 23 janvier 2019.
– Atelier de Paris / CDCN, les 22 et 23 novembre 2018. Première.