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Ma proche banlieue

Si la banlieue, pour beaucoup, est une question de géographie, chez Patrick Zachmann elle relève d’abord de l’histoire. Une histoire nationale. Il ne photographie pas « la » banlieue. Son travail exclu toujours cet article défini qui déterminerait d’avance un angle de vue.

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Patrick Zachmann
Ma proche banlieue

« Ce n’est pas seulement notre histoire. C’est aussi la sienne. Ce photographe, on sent bien que, dans son parcours personnel, il avait besoin de boucler la boucle.D’autres écriront la suite de l’histoire, la sienne est terminée. Il la bouclée, symboliquement, avec la mort, les misères, les miracles. Son identité, Patrick, il l’a construite en aidant à construire celle des autres ».

C’est une Marseillaise qui parle, Yamina, une « ancienne » de la cité Bassens, dans les quartiers Nord de la ville. En cette froide soirée du 3 octobre 2008, nous sortons de la salle du cinéma l’Alhambra de l’Estaque au nord de Marseille qu’il programmait Bar Centre des Autocars, le troisième film réalisé par Patrick Zachmann. Sont venus assister à cette projection tous les protagonistes du film bjen sûr, ainsi que leur famille, mais aussi de très nombreux habitants de la cité Bassens. Ceux restés, ceux partis depuis, comme Yamina. « La cité, il fallait l’oublier pour se construire », dit-elle.

Elle a un beau verbe: en m’évoquant son parcours, sa place de citoyenne, sa famille, sa soeur Aicha qui fait une apparition poignante dans le film, elle définit, sans le savoir, le regard photographique de Patrick Zachmann. En cet instant, elle est éprouvée, comme le reste des spectateurs, par ce documentaire dont le titre ne laisse guère soupçonner le sujet insolite, et fort.

Photographe à l’agence Magnum, Patrick Zachmann, décide, presque vingt-cinq ans plus tard, de retrouver le groupe de jeunes de quartiers défavorisés de Marseille auxquels il avait donné un atelier de photographie. Ils avaient alors 16 ans, Patrick à peine une dizaine de plus. Tous venaient d’une histoire d’ailleurs: Algérie, Vietnam, Sénégal, Corse…

Comme Zachmann lui-même, Juif, séfarade d’Algérie, côté maternel, ashkénaze d’origine polonaise, côté paternel. Tous étaient d’ici. Eux, de Marseille, mais surtout, pour la plupart, de la cité Bassens. Zachmann, de Paris, mais aussi de Choisy-le-Roi, par sa naissance, et d’Antony et de Champigny, par ses tantes, dont l’une a survécu au camp de Drancy. Le photographe est leur semblable, à ces jeunes issus de l’immigration et que personne ne désigne encore comme les « jeunes de banlieue » ou « des quartiers », les « Beurs », les « Feujs », les « Renois », les « sauvageons », la « racaille »…

En 1984, il anime donc cet atelier, édite les photos de ses stagiaires, les incite à les commenter, à oser des rêves sur papier. Il les photographie chez eux, en intimité. Dedans, dans les appartements, les images sont en cadre serré et les familles, posant devant des murs de papier peint, semblent presque en déborder. Dehors, en arrière-plan de chaque portrait, s’ouvre souvent un bout de ciel, des semblants de nuages, un horizon de terrain, aussi vague soit-il. Quelque part, murmurent ces photographies, il y aurait un ailleurs possible. Le thème du stage porte sur l’ »identité ».

Pendant six mois, Patrick Zachmann donne à ces jeunes la possibilité de se voir. Eux se livrent avec confiance. La douceur triste du visage d’Ali, l’émouvante maigreur du corps de Chérif, l’éclat de rire prometteur de Nadia, l’étrangeté de César, la moue sensuelle et crâneuse de Khadidja, son regard rebelle, ou celui vaguement inquiet de Paul. Ils sont beaux. Touchants. Comment ne pas éprouver ce sentiment en feuilletant ces pages en noir et blanc?

Mais ne nous leurrons pas: notre esthétique a beaucoup changé. Il y a plus de vingt ans, ces gamins n’étaient beaux que pour leur mère, et pour de rares objectifs, comme celui de Zachmann. À leur tour, ils créent leur univers photographique et confectionnent chacun un livret avec leurs propres photos souvent surexposées, leurs textes au style direct, sans préambule. À l’image de leur jeunesse prête à se brûler. Zachmann leur propose un regard, eux l’empruntent. Fait rare: le photographe vient leur restituer l’emprunt, plus de vingt ans après. Il veut de leurs nouvelles, son film Bar Centre des Autocars nous en donnera à tous. Ce sont des nouvelles du pays. Le nôtre.

Souâd Belhaddad

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