Filipa César
Luta ca caba inda (La lutte n’est pas finie)
L’intérêt de Filipa César pour la Guinée-Bissau est ancien et étroitement lié à l’histoire coloniale récente du Portugal. Lors de ses premiers voyages en Guinée, elle a cherché à démêler les racines du cinéma dans ce pays d’Afrique de l’Ouest, en se penchant en particulier sur ses archives, dont l’état déplorable s’expliquait à la fois par les conditions climatiques locales et par l’instabilité politique persistante du pays.
L’histoire du cinéma guinéen commence pendant la guerre d’indépendance de onze ans menée contre le Portugal (1963-1974), lorsque AmÃlcar Cabral, chef du Paigc (Parti africain pour l’indépendance de la Guinée-Bissau et du Cap-Vert), envoie quatre jeunes Guinéens — Flora Gomes, Sana N’Hada, Josefina Crato et José Bolama Cobumba — à l’Institut cubain de l’art et de l’industrie cinématographique (ICAIC) pour y apprendre le cinéma. Pour AmÃlcar Cabral, le cinéma est un instrument éducatif et un moyen de fédérer la bonne quarantaine de groupes ethniques du pays pour leur donner un but commun: l’indépendance et la formation d’une nation unie de Guinée-Bissau et du Cap-Vert. La stratégie politique de AmÃlcar Cabral consiste alors à sensibiliser son peuple et le monde entier sur son combat en appuyant sur la puissance visuelle de l’image afin de créer une identité nationale nouvelle. Le cinéma est pour lui un outil politique, une façon de jeter les fondations d’une mémoire collective, d’écrire l’histoire d’une Guinée nouvellement libérée.
Prospère pendant quelques années après l’indépendance, le cinéma de Guinée-Bissau va cesser d’être une priorité gouvernementale après le coup d’État de 1980 et, avec le déclenchement de la guerre civile en 1998, il sera complètement abandonné. Il n’en reste que les films et les séquences archivés à l’Inca (Instituto Nacional do Cinema e Audiovisual da Guiné-Bissau). Des images documentaires tournées par Flora Gomes et Sana N’Hada entre 1972 en 1980, deux films réalisés par ces mêmes auteurs dans les années 1980, un ensemble de films issus de pays alliés (RDA, URSS, Cuba et Suède), plusieurs bandes audio et une série de copies vidéo d’œuvres cédées par Chris Marker composent ces archives uniques et inexplorées.
Grâce à une collaboration entre les réalisateurs Flora Gomes, Sana N’Hada et Suleimane Biai, l’Inca (Bissau), l’Arsenal (Berlin) et le Jeu de Paume, ainsi qu’avec le soutien du ministère allemand des Affaires étrangères, il a été possible d’entreprendre le transfert des images 16 mm sur un format numérique permettant de les présenter au public. En effet, du fait de leur mauvais état, les pellicules n’auraient pas supporté le passage dans un projecteur.
Pour l’exposition, Filipa César propose une réflexion sur le processus complexe d’exhumation de ces archives et de recoupement entre faits et fictions, récits personnels et collaborations. «Luta ca caba inda» — titre repris d’un film inachevé de la fin des années 1970 et appartenant au corpus archival — est un essai poétique sur le combat qu’implique l’accès à des images d’un autre temps.
Née en 1975, Filipa César est portugaise et vit à Berlin. Son travail a été présenté entre autres au Mudam (Luxembourg), à la Haus der Kulturen der Welt (Berlin), à Arts Santa Mònica (Barcelone), à la Kunsthalle Wien (Vienne), à FormContent (Londres) et au SF Moma (San Francisco). Elle a participé à Manifesta 8 (Cartagène), à la 29e Biennale de São Paulo, à la 12e Biennale d’architecture de Venise et à la 8e Biennale d’Istanbul.
Vernissage
Lundi 15 octobre 2012
critique
Luta ca caba inda (La lutte n’est pas finie)