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Lulu

Le drame musical Die Büchse der Pandora (1902) et son avatar filmique éponyme (1929) ont été ici réduits au strict minimum : à un show d’une heure chrono introduit de façon très amusante par un pitch tapuscrit, défilant de droite à gauche, comme une dépêche de l’AFP, sur un écran à diodes de sous-titrage électronique.

Se rendant bien compte qu’il est impossible de remplacer Marie Louise Brooksie, alias Louise Brooks, maîtresse-étalon en matière de photogénie, Tompkins s’est contenté d’engager une engageante mignonnette sachant bouger comme il faut et, le cas échéant, en pousser une dans un micro HF, façon Madonna. Mais il a axé sa pièce — un drame musical et non une comédie — sur le personnage annexe, grandguignolesque, assez « basic instinct », un peu « too much », définitif, expéditif du serial killer Jack The Ripper, que le chorégraphe interprète lui-même, en boucle, au début comme à la fin du spectacle — Tompkins, tel Léopoldo Fregoli, joue par ailleurs presque tous les autres rôles.

Ce n’est pas que Miss Alexandra Sarramona soit désagréable, loin s’en faut — son numéro de contorsions savantes et acrobatiques, en blonde du Lido perchée sur un tabouret de bar, est tout ce qu’il y a de plus sexy. Mais il ne suffit pas de porter le casque de Loulou pour incarner l’un des personnages les plus mythiques du 20è siècle. Il est en effet plus « naturel », avec un tel look, de remémorer Mireille Mathieu ou, si vous préférez, Vampirella, que la divine garce/garçonne des Années folles — le concept de garçonne, imaginé par Huysmans et développé par Victor Margueritte décrit l’émancipation de la femme. Même Cyd Charisse, qui s’était mesurée à la star absolue dans le numéro « Broadway Melody » de Singin’ in the Rain (1952) n’avait pu faire oublier l’original.

Tout se passe comme si Tompkins et sa bande, à commencer par son scénographe habituel, Jean-Louis Badet, avaient peur du vide. Ils accumulent un trop plein de signes qui finissent par encombrer inutilement le plateau. Par exemple, des tableaux (recouverts de papiers) peints qui jouent tantôt le rôle cachottier de paravents japonisants, tantôt celui d’écrans vidéoprojectifs. Des meubles divers, notamment un divan pas seulement destiné à la pratique orale de la psychanalyse. Une demi-douzaine de moniteurs à écran plat sont, pendant qu’on y est, disposés à l’avant-scène. Enfin, des toiles de tulle laissent filtrer la lumière tout en la tamisant, en floutant ou flouant la perception qu’on peut avoir depuis la salle historique du théâtre bastillais. Relevés et secoués au cours du show, ces pièges à poussière déclenchent automatiquement des crises de tousserie intempestives et communicatives chez les spectateurs anaphylactiques.

On sait, ou devrait savoir, que Tompkins, issu de la galaxie Yano, a été l’un des pionniers en France dans le domaine qu’on appelait, c’est déjà loin : dans les années 90, le « multimédia ». Que ce soit sur une scène de théâtre ou dans un « non-lieu » de spectacle, il a défriché ce territoire avec l’aide du réalisateur Luc Riolon qui participait à ses « performances » hors normes. De même, il a contribué à lancer le concept paxtonien de « danse-contact » en France. Rien que pour cela, Stetson bas !

Si tout n’est donc pas totalement convaincant dans les effets visuels des moniteurs qui frisent parfois la kitschitude, on doit reconnaître que l’utilisation des paluches vidéo dans le beau duo de la deuxième partie du spectacle est originale, inédite et, formellement parlante, expressive — pour ne pas dire expressionniste. La chanson qui correspond à ce numéro est d’ailleurs une des plus réussies, musicalement. Les voix des deux interprètes, celle, barytonesque, de Tompkins et celle, éthérée, de Miss Sarramona, s’y accordent parfaitement. La séquence est aussi très bien mise en scène : on passe de l’utilisation solitaire, narcissique, spéculaire de la caméra, de l’autofilmage, à un programme commun, au partage, à l’exploration corporelle mutuelle, ponctuelle, macroscopique, au dévoilement de l’un par l’autre. L’image détaille également la texture de la magnifique robe en strass dessinée ou adaptée par la maison Badet.

La musique lancinante — que certains spectateurs ont qualifié de « monotone », comme si ce terme objectif pouvait être péjoratif ! — composée par Nuno Rebelo avec l’aide de Tompkins et les lyrics impeccablement écrits et chantés par le chorégraphe suffiraient à produire une mouture légère du spectacle, une version cabaretière de celui-ci, un duo avec pianiste live, par exemple, qui pourrait tourner dans le monde entier, à commencer par Londres, à finir par Berlin, ou inversement.
Le plus difficile est de faire simple.
 

— Direction artistique, livret et paroles : Mark Tompkins
— Direction musicale et orchestration : Nuno Rebelo
— Musique : Nuno Rebelo avec Mark Tompkins
— Scénographie et costumes : Jean-Louis Badet
— Vidéo : Gilles Toutevoix et Jeff Denisse Philippot
— Lumière et régie générale : Rodolphe Martin
— Régie son : François Piednoir
— Musiciens / bande son : Rita Franco — violon, Teresa Fernandes — alto, Teresa Rombo — violoncelle, Pedro Wallenstein — contrebasse, Paulo Curado — flûte, Andrew Swinnerton — hautbois, Joaquim Ribeiro — clarinette, Carolino Carreira — basson, Johannes Kriegger — trompette, Eduardo Lala — trombone, Augusto Rodrigues — cor, Nuno Rebelo — guitare électrique, percussions   

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