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Luciano Fabro

Présentation
Contrepoint- De la Sculpture, Musée du Louvre (5 avril-25 juin 2007).
Commissaire: Marie-Laure Bernadac, conservateur général du patrimoine et chargée de mission pour l’art contemporain au Louvre.
Dans le cadre du troisième volet de Contrepoint au Musée du Louvre dédié cette année à la sculpture, Audrey Norcia est allée à la rencontre des onze artistes internationaux invités à dialoguer avec les collections du musée. Tous sont issus de traditions artistiques déterminées: l’Arte Povera pour Luciano Fabro, Giuseppe Penone et Claudio Parmiggiani; la sculpture anglaise et américaine pour Robert Morris, Richard Deacon et Anish Kapoor; et enfin, diverses tendances du renouveau français avec Elisabeth Ballet, Gloria Friedmann, Didier Trenet, Michel Verjux et Jacques Vieille.
Leurs interventions se situent dans le département des Sculptures (Aile Richelieu, Cours Marly et Puget; aile Denon, galeries Donatello et Michel-Ange) ainsi que dans le département des Antiquités Orientales (Cour Khorsabad).
Chaque artiste a choisi son site, en réponse à un ensemble statuaire ou à une sculpture en particulier, afin de proposer, à l’occasion de cette relecture des œuvres anciennes, une pièce nouvelle dans la plupart des cas.

Interview
De Luciano Fabro
Par Audrey Norcia

Pourquoi avez-vous choisi l’espace de la Cour Marly pour présenter votre œuvre Cul de ciel? Pour la verrière au travers de laquelle on voit le ciel? Votre œuvre est un fût de marbre blanc poli et constellé de points d’or, encastré dans une base brute de marbre rose, l’ensemble étant une carte du ciel enroulée?
Luciano Fabro. En fait je n’avais pas compris que je pouvais choisir mon lieu! Pour Contrepoint, j’ai fait une première proposition, plus monumentale, qui n’a pas été retenue, car trop coûteuse. Elle aurait dû se situer Cour carrée. Il s’agissait d’un tertre de végétation recouvrant le bassin situé au centre de l’espace, et qui devait être surmonté d’un bloc de marbre, sur lequel était posé un chapiteau corinthien, avec une inscription Quando la ragione pesa sulla natura.
La forme arrondie du tumulus s’inscrivait dans les lignes des arcades de la cour, le chapiteau renvoyait à celui des colonnes architecturales, et l’élément végétal était un écho au jardin des Tuileries. Pour en revenir à la Cour Marly, cela s’est fait par hasard…

Votre œuvre s’inscrit parfaitement dans cet espace. La simplicité d’assemblage des éléments et la simplicité des formes contrastent avec les sculptures plus classiques. Ce contraste est-il destiné à choquer?
Luciano Fabro. Dans l’ensemble de mon travail, cette œuvre est l’une des plus complexes, structurellement et formellement. L’une des œuvres les plus riches de sens. C’est pour cela que, tout compte fait, je trouvais qu’elle était assez autonome vis-à-vis des autres sculptures présentées dans cet espace. J’avais donc plus de liberté d’action que dans une situation plus caractérisée, comme celle de Richard Deacon qui dialogue précisément avec une œuvre ancienne. Alors que mon œuvre peut être lue comme un commentaire, ou comme une œuvre autonome et libre. Cul de ciel est pour ainsi dire détaché.

L’œuvre peut se lire seule et en même temps être reliée à l’ensemble de la cour. Constituée de deux éléments encastrés, votre sculpture évoque l’idée de «compénétration». La compénétration d’espaces est un aspect récurrent dans votre œuvre, qui renvoie évidemment à l’érotisme. De fait, Cul de ciel possède cette dimension érotique et même sexuelle. Un fût blanc poli dans une base rose brute, cela évoque-t-il une pénétration de contraires masculin et féminin?
Luciano Fabro. Cette union sexuelle donne ici beaucoup de force à l’imaginaire de l’œuvre. Mais je ne pars jamais de l’idée d’arriver à quelque chose de cet ordre, cela arrive latéralement, par la suite, en s’immisçant dans l’œuvre en cours. Comme une suggestion. J’ai cette œuvre en tête depuis dix ans environ, elle est le résultat d’une maturation formelle, d’un long tâtonnement. Elle est plus complexe que mes autres travaux. Je voulais en outre créer une relation entre la forme circulaire du fût et la cavité ovale de la base. La colonne entre dans un ovale, alors que son embout est rond.

Comment avez-vous résolu le problème?
Luciano Fabro. La première étape a été la trépanation de la partie rose. Les deux éléments sont ainsi chargés de significations, de sollicitations formelles qui se transforment en sollicitations conceptuelles en faisant appel à l’imagination. Il existe entre ces deux parties des liens, des connexions, que je découvre au fur et à mesure de la conception de l’œuvre. Elles sont plus le fruit d’une rapidité intuitive que d’une idée prédéfinie et figée. J’ai passé beaucoup de temps pour la réaliser, l’observer, la ressentir… C’est ensuite que viennent les significations secondaires d’érotisme, de sexualité, de coloris… Mais évidemment, même quand je choisis un marbre rose, cela a son importance.

Rose, couleur chair…
Luciano Fabro. Oui, de la chair, qui prend des teintes plus profondes au cours du processus d’élaboration.

Mais comment êtes-vous parvenu à résoudre la relation symbolique entre l’ovale et le cercle?
Luciano Fabro. En créant des plis au bout de la colonne: les plis de la pénétration. Et je crois que là réside le caractère sensuel et érotique de l’œuvre. Sexuel même. Le cercle se plie pour entrer dans l’ovale.

En observant Cul de ciel, j’y ai vu une cosmogonie…
Luciano Fabro. Oui, oui… exactement. Cela fait des années que je tourne autour de cette idée, que je cherche à l’atteindre. C’est aussi pour cela que j’utilise le ciel et la carte du ciel pour l’exprimer. Une constellation…

Vous avez déjà réalisé des travaux sur ce thème…
Luciano Fabro. Oui, toujours avec cette forme là: une carte du ciel qui s’enroule, ou au contraire qui se déploie. Vraiment, pour moi, c’est comme un archétype. Un travail qui remonte à loin: l’un de mes premiers travaux, en 1968, était une carte du ciel, très grande, faite à la main… Cela m’a pris des mois et des mois… L’œuvre a été exposée puis est entrée dans une collection privée. Désormais, la chose se répète chez moi, comment cela se configure-t-il dans mon imagination. Ça va et vient.
Cela m’était sorti de l’esprit, puis j’ai donné à l’Accademia (à Milan) un exercice dans lequel devaient être intégrées les trois mesures: le microcosme, l’androcosme et le macrocosme. Même si le terme «androcosme» n’existe pas, il désigne le monde incluant le paramètre humain. Trois façons de se situer par rapport à… Par exemple, la base rose de Cul de ciel peut représenter une partie microscopique à l’intérieur d’une mesure incommensurable comme le ciel, mais aussi parce que c’est une forme brute.

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