Jon Pylypchuk récupère ou achète des matériaux pauvres: plastique, tôle, bois, etc. Il les bricole, les assemble, souvent les repeint et leur adjoint un peu d’électricité. L’exposition «Love, My Reluctant But Faithful Enemy» est comme une réunion d’individus rafistolés. Plus que des saynètes, il s’agit ici vraiment d’individualités, placées sur des socles. De sculpture en sculpture, c’est donc un véritable face-à -face que le spectateur engage. Et ce face-à -face n’a rien de joyeux. Car le travail de Jon Pylypchuk fonctionne sur un décalage.
Lorsque l’on entre dans la galerie, tous ces personnages faits de bric et de broc sont plutôt rigolos. Des ampoules violettes pour les yeux, des couleurs souvent vives. Mais très vite, on ne voit plus que ça: aucun ne sourit, bien au contraire. Les bouches sont droites, figées, ou même totalement «à l’envers», comme les dessinent les enfants pour bien signifier la tristesse. C’est une drôle d’atmosphère qui règne ici.
Les matériaux sont divers mais ces tristes individus sont principalement constitués de bois, de bronze ou d’une sorte de plastique fondu. Et c’est cette dernière matière qui donne l’aspect le plus inquiétant car en plus d’avoir l’air désespéré, ces personnages là semblent malades, de ces maladies terribles qui déforment totalement les visages.
On pense bien sûr à Elephant Man. Tous ces individus mettent mal à l’aise: certes, ils semblent s’être échappés d’un dessin d’enfant — c’est «pour de faux». Mais on ne peut pas rester impassible devant ce regard (des ampoules !) qui nous implore — sentiment d’impuissance, doublé de culpabilité, analogue à celui ressenti face à la misère quotidienne.
Ainsi cet homme qui pleure, son mouchoir à la main. En réalité, il s’agit d’un bidon carré sur tiges de fer. Les yeux, toujours en ampoules, sont entourés d’une peinture jaune qui dégouline et au bout de ses bras (des tiges, encore), c’est un vieux chiffon sale que ce personnage tient. Qui aurait cru que cet assemblage de matériaux se révèlerait si humain?
C’est la violence, la pauvreté, le désespoir qu’évoque Jon Pylypchuk. Les personnages nous parlent à travers les titres des pièces qui sont toujours inscrits à proximité (souvent sur le socle). Nowadays My Nigths Are Poker, Booze And Crying: voilà la raison des pleurs du personnage décrit précédemment.
La galerie se transforme en une espèce de petit musée de la misère sociale. Tout y passe: la famille, l’amour, la drogue, la dépression, etc. Celui là , en plastique, nous dit: Every Morning I Wake Up And I Think Fuck It, But I Am Too Scared To Actually Give Up. Les bras lui en tombent. Les bras, ou plutôt les fils électriques, dont la prise, au bout, forme une petite main. Car si les sentences sont terribles, on s’amuse aussi des bricolages de l’artiste, si efficaces à rendre certaines attitudes.
Les petites histoires décrites par Jon Pylypchuk sont si terribles et méchantes qu’elles en sont parfois drôles. On rit un peu jaune, mais on rit. Comme avec ces lunettes de WC qui forment des visages, placés à la même hauteur que le vôtre. Ces deux là ont l’air un peu moins triste que les autres. Et pour cause: After 26 Years Of Working Together We Never Spoke A Word To Each Other But Have Recently Bonded Over Our Mutual Love Of Cigarettes And Hallucinogens.
A l’étage de la galerie, on découvrira les œuvres sur papier: des taches informes s’y déversent, toujours vivantes car toujours pourvues d’un regard. On y retrouve les petites phrases. Le face-à -face y est moins impressionnant mais on s’y étonne encore de la capacité de l’artiste à doter ces «choses» d’expressions si humaines. Et surplombant tous les autres, comme une véritable mise en scène, un dernier personnage, fait principalement de bois, est assis sur un socle. I Will Spend The Next Days Fashioning A Love You Will Not Be Able To Deny. On vous laisse juger mais il semble bien que ce dernier ait décidé, devant tout ce malheur, de se donner du plaisir… Seul.
Å’uvres
— Jon Pylypchuk, After 26 years of working together we never spoke a word to each other but have recently bonded over our mutual love of cigarettes and hallucinogens, 2011. Toilet seats, paint, light bulbs, 84cm x 63.5 x 10 cm
— Jon Pylypchuk, Dance on, you drunk prick, 2011. Bronze, 46 x 43 cm
— Jon Pylypchuk, If you are lucky your children will grow up to hate you, 2011. Bronze, dimensions variable
— Jon Pylypchuk, As a fraud of course, I am thriving in this sea of fraud » (left) & hey racoon eyes ! You old sack of shit ! (right), 2011. Wood, spray foam, spray paint, epoxy, resin, light bulbs. Dimensions variable
— Jon Pylypchuk, If only I could be the last thing you see when you die, 2011. Wood, spray paint, light bulbs. 79 x 56 x 25.5 cm
— Jon Pylypchuk, Nowadays my nights are poker, booze and crying, 2011. Bronze, spray paint, light bulbs. 81 x 28 x 33 cm
— Jon Pylypchuk, Untitled, 2011. Mixed media. 46 x 61 cm
— Jon Pylypchuk, Untitled, 2011. Mixed media. 86 x 61 cm