Luc Ewen
Lost memories
La cire, c’est la petite madeleine de Luc Ewen, photographe à la recherche du temps perdu. Contrairement à la madeleine, la cire n’est pas soluble dans l’eau, ce qui ne l’empêche pas d’agir sur le pouvoir de la mémoire instinctive, de prendre appui sur le présent pour remonter le cours du temps.
Luc Ewen fait le constat d’une amnésie élémentaire, il est alors incapable de donner date et sens aux nombreuses images de ses archives personnelles.
«A ma grande surprise, j’ai pu découvrir des images dont je n’ai gardé aucune mémoire et d’autres que je croyais bien connaître mais dont la signification profonde se dérobait sans cesse».
Il a tout d’abord effectué un premier tri — un choix intuitif comme d’autres parlent de l’écriture ou de la peinture automatique — et a sélectionné 150 négatifs censés représenter métaphoriquement sa vie.
Mais comme ces images sont restées muettes, il s’est enfermé dans son laboratoire pour les métamorphoser, pour gratter sous les apparences. Il convoque une matière: la cire. Celle de la céroplastie, des prothésistes, celle qui épaissit, qui lisse, qui protège.
Cette expérimentation devient un rituel qui, au final, crée un masque de cire sur chaque négatif. Les formes prolifèrent. Les contenus se déforment, touchés par une sorte de brouillard ou par des grappes de bulles.
Paradoxalement, ce masque lui permet de révéler la vraie nature de ces photographies. Des trente années ainsi représentées en une quarantaine de photographies se dégage une même obsession tendue par un goût du sujet insolite et isolén qui se dérobe à l’œil pressé mais qui constitue, en même temps, un paramètre fondateur de son travail atemporel et immémorial.
Les motifs récurrents de ces photographies sont l’échelle, les pierres et l’eau — l’eau est trouble et le bateau comme suspendu dans la grisaille. L’absurde n’est jamais loin dans l’œuvre de Luc Ewen, où il règne un climat symbolique wagnérien, voire même une couleur cinématographique proche de celle du réalisateur britannique Ken Loach.
«Le temps se situe au centre de l’œuvre de Luc Ewen. Le temps personnel surtout, celui que ses autoportraits veulent retrouver dans les limbes d’une mémoire qui reste présente dans son effacement même.
Luc Ewen découpe des parcelles dans le temps et tente de la réanimer, de lui insuffler une seconde vie esthétique. La modification s’élève en métamorphose, les hantises se muent en visions et le masque de l’apparence extérieure se transforme en miroir de passage.» François Olivieri