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Lost Istanbul, années 50-60

09 Sep - 11 Oct 2009
Vernissage le 08 Sep 2009

Au fil du temps, des voyages et des reportages, Ara Güler a rassemblé un corpus photographique d’une richesse et d’une diversité rares dont le fil conducteur est le «facteur humain». L’attention, le respect, une certaine compassion accompagnent toujours ses photographies d'Istanbul, emplies d'amour pour cette ville et ses habitants.

Ara Güler
Lost Istanbul, années 50-60

Ara Güler, Seigneur d’Istanbul
La réputation d’Ara Güler le précède; véritable célébrité à Istanbul, il inspire respect et curiosité. Seigneur de la trempe des grands reporters d’autrefois, homme du monde, galant et affable, il est conscient d’être l’un des grands témoins de son époque.

Après avoir fait plusieurs fois le tour du monde et laissé son empreinte sur chaque pierre de Turquie, Ara Güler n’aime plus voyager aujourd’hui, mais il voyage chez lui grâce à ses visiteurs du monde entier.

A la fin des années 1940, il termine, selon les voeux de sa famille, ses études d’économie à l’Université d’Istanbul, tout en hésitant entre le théâtre, la peinture et le cinéma. Il commence parallèlement à faire de la photographie, sans imaginer en faire son métier.

«Ce qui n’était qu’un jeu gratuit au départ devait me réserver la plus grande satisfaction de ma vie : la découverte d’un langage, d’un moyen d’expression que l’on a longtemps côtoyé tout en ignorant les richesses et, qui plus est, la certitude de pouvoir s’exprimer par ce moyen. La confiance me revenait avec l’espoir d’avoir trouvé peut-être ma voie en dehors des affaires… » écrit-il dans la revue Camera à Roméo Martinez, en 1962.

En 1948, à vingt ans, Ara Güler collabore, en tant que journaliste, au quotidien Yeni Istanbul, puis au magazine Hayat comme photographe. Au début des années 50, la Turquie, comme le reste de la Méditerranée, entre dans une phase de transition profonde. Ara Güler photographie Istanbul, la Turquie, l’Anatolie, les sites archéologiques, les ruines d’Aphrodisias, les villages…

Il appartient à la génération de photographes turcs qui ont joué un rôle capital dans la reconnaissance de leur pays à l’étranger. Ara Güler devient également correspondant pour des titres étrangers comme Time-Life, qui ouvre un bureau en Turquie en 1956, Paris Match, Stern, pour lesquels il couvre l’actualité : la venue des célébrités américaines, le naufrage d’Izmit et surtout les événements politiques comme le coup d’état militaire de 1960.

Il est, pour ses collaborateurs internationaux, «Their Man In Istanbul» selon les mots de son ami Jimmy Fox. Grâce à sa rencontre avec Marc Riboud et Henri Cartier-Bresson, il commence à travailler pour Magnum et multiplie les reportages jusqu’à figurer, dès 1961, parmi les sept meilleurs photographes du monde, selon le Star Photographer du Photography Year.

Grâce à sa personnalité, sa générosité et son sens de l’hospitalité, il devient l’ami des photographes qui se rendent dans la région. Ara partage sa connaissance de la ville, ses secrets avec Riboud, Cartier-Bresson, mais aussi Jeanloup Sieff, Mary Ellen Mark, Bruno Barbey, Josef Koudelka et les autres photographes de Magnum, qui n’ont jamais cessé de photographier Istanbul. Son amitié, que tous évoquent volontiers, fait partie intégrante de «l’humanité» si frappante dans son travail.

Au fil du temps, des voyages et des reportages, Ara Güler a rassemblé un corpus photographique d’une richesse et d’une diversité rares dont le fil conducteur est le «facteur humain». L’attention, le respect, une certaine compassion accompagnent toujours la volonté de témoigner des conditions de vie et de travail.

Dans ses images d’Istanbul se mêlent l’amour de cette ville et celui de ses habitants. Le résultat est le portrait d’une ville en perpétuel mouvement jour et nuit, traversée par une activité incessante sur la terre comme sur l’eau, depuis le labyrinthe des ruelles des vieux quartiers jusqu’aux artères du centre et la Corne d’Or.

Une ville qui se transforme et qui voit disparaître artisans, ferrailleurs, petits commerçants, pécheurs… Contrairement à Berenice Abbott dans son Changing New York, il ne documente pas réellement la modernisation, il s’arrête davantage sur ce qui est en train de disparaître dans la ville et dans la société turque. On ressent d’ailleurs dans les images des années 50 et 60 la profonde nostalgie qui animait déjà Ara Güler à l’époque.

Dans Istanbul. Souvenirs d’une ville où des photos d’archives accompagnent les souvenirs d’enfance d’Orhan Pamuk, ce dernier parle de hüzün, mot d’origine arabe qui signifie à la fois mélancolie et tristesse, selon lui le «sentiment le plus fort et le plus permanent de l’Istanbul de ces derniers siècles». Cet Istanbul, nocturne et brumeux, évoque le Valparaiso envoûtant de Serge Larrain.

En résulte une vision de la ville qui brille non des fastueux vestiges de l’Empire Ottoman, mais d’une autre lumière, celle des pavés luisants sous la pluie, des réverbères allumés à la tombée de la nuit, des phares de voitures qui remontent vers Beyoglu et des ferries s’éloignant dans le brouillard le long du Bosphore.

L’univers d’Ara Güler, étonnant conteur, est riche de références issues de la littérature, de la peinture et du cinéma, d’où viennent la plupart de ses amis. «Notre monde a été créé par des artistes, je les ai cherchés partout et photographiés». Les beaux portraits de Chagall, Calder, Bill Brandt, Orson Welles, Elia Kazan, Fellini, Bertrand Russel, Yasar Kemal, Orhan Pamuk, présents dans les archives avec des centaines d’autres artistes et intellectuels, révèlent un autre aspect de son travail et de
son talent.

Si l’oeuvre d’Ara Güler s’inscrit dans la grande tradition humaniste, son réalisme poétique lui confère une force et une singularité particulières. Ses images ne sont pas seulement une documentation historique sur Istanbul.

En effet, ses clichés de la ville habitée par la mélancolie, ses portraits d’une présence surprenante l’imposent comme une des figures majeures de la photographie du siècle dernier. Aujourd’hui, Ara Güler se voue à transmettre le message de son «Istanbul perdu» à travers les livres et les expositions qu’on ne finit pas de lui consacrer. Depuis l’Ara Café (café installé au rez-de-chaussée de la maison où il a grandi), il regarde, amusé, le monde s’agiter autour de lui, les visiteurs se succéder et sa
notoriété prospérer.

A la cinquantaine de tirages sur Istanbul, s’ajoute un diaporama illustrant la formidable activité de portraitiste d’Ara Güler : portraits de nombreuses personnalités réalisés à l’occasion de voyages ou de commandes.

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