Loris Cecchini
Loris Cecchini
A l’ouverture du Palais de Tokyo, en janvier 2002, les objets souples de Loris Cecchini avaient été disséminés par l’artiste dans tout l’espace du bâtiment. Grappes de câbles électriques qui semblaient avoir été oubliées d’un précédent chantier, extincteur mou accroché à un pilier, tube fluorescent flexible suspendu au plafond ou échelle pliante appuyée contre un mur, tous semblaient à la fois parfaitement à leur place et totalement anachroniques. Leur réalisme sans faille, qui les rendait si concrets, confronté à la souplesse de leurs silhouettes et à la neutralité de leur couleur grise, questionnait à la fois leur statut et l’utilité de leur présence en ces lieux.
Car ce qui, précisément, intéresse Loris Cecchini, c’est de s’introduire dans la réalité d’un lieu et d’en détourner l’usage et le sens, de proposer des situations décalées mais fondées sur la matérialité la plus objective et la plus pragmatique des objets et des formes.
Quelques mois auparavant, l’œuvre intitulée BBBreathless et présentée à la 49e Biennale de Venise, avait su également montrer de manière magistrale la capacité de Loris Cecchini à mettre en scène une situation de façon dramatique : en hommage à la première loi italienne contre la peine de mort, la réplique en caoutchouc d’une cellule de prison se gonflait et expirait dans l’espace de l’exposition toute l’angoisse contenue dans le souffle du condamné.
Car le monde de Loris Cecchini est parfois sans appel. Situations post-cataclysmiques, ruines du quotidien, scènes atomisées, l’installation Stage Evidence (pieno deserto) ou les Carchitectures exposées à la Galleria Continua en 2003 proposent ainsi des situations figées par l’éclair ou irrémédiablement contaminées et sans espoir.
Transformer l’image du monde, intervenir sur la perception, en brouiller les codes et les effets, est un geste que l’artiste aime à s’autoriser dans ses œuvres récentes. La découverte d’un matériau, qui rend tout cela possible par la simple application d’une pellicule sur des surfaces translucides, lui permet de créer des effets proches du mirage en mêlant l’image réfléchie à la distorsion optique des scènes vues en transparence. DensitySpectrumZone1.0 en est le premier exemple et un monde nouveau de déformations de l’espace s’offre ainsi à lui, dans lequel la ligne courbe s’entrelace avec l’architecture des volumes et la perception des objets s’éloigne encore d’un pas de la réalité.
Les portes molles de Loris Cecchini pouvaient sembler sans usage par leur prévisible inadaptation à leur fonction originelle d’isolation et de protection. De même, les premières « Roulottes » en caoutchouc souple paraissaient être l’archétype de l’objet inutile. Pourtant, les trois roulottes conçues pour le « Salon » du Palais de Tokyo ont été imaginées par l’artiste pour être utilisées par le public. Espaces autonomes et mobiles, nuages flottant entre sol et plafond, isolées de l’environnement ou perméables à l’extérieur, elles sont autant de petites cellules fluides d’isolation ou de méditation que l’artiste disperse dans les lieux pour tenter de répondre à ses souhaits : « Je voudrais que l’espace de l’œuvre continue à être l’instant du mirage, quelque part entre délire et réalité, entre abstraction et utilité, entre suspension et matérialité » (Loris Cecchini).
critique
Loris Cecchini