Quatre sportifs en slips, marcels, et hautes chaussettes de footballeurs attendent le public sur la scène du Théâtre de la Ville. Ils plongent, la main entre les jambes, et miment la masturbation, désespérément drôles. Lorsque les orgasmes refusent de se succéder, les terroristes de la libido et du maintien de l’ordre apparaissent. Fusil en bandoulière, mi-chasseurs, mi-gestapistes, ils seront présents tout au long de la pièce, puissance terrifiante grimée en idiots insignifiants. La force de la pièce se trouve toute entière dans cette faille — ouverte au pied de biche — entre rire, horreur, dégoût et cruauté.
Solidement appuyée sur un humour dévastateur, la création ne flirte pas avec le mauvais goût, elle l’expose. Les limites de la décence cèdent alors: «J’aime l’humour qui enflamme les choses, de sorte qu’après coup je dois aider à éteindre le feu. Le sourire vient après l’extinction, et c’est dans ce climat-là que le spectateur contracte son alliance secrète avec mon Å“uvre.» Et pour celui qui est tenté de n’en retenir qu’une part, rejetant au loin le sale et le méchant, il entend très vite la réponse de l’artiste. Dans l’hilarante scène de la galerie d’art, nous nous moquons d’un couple qui déconstruit une oeuvre afin de l’assortir aux yeux de l’épouse.
Au centre de cette Orgie, les objets dévorent le désir. Rejetons dégénérés d’une société en faillite, addiction parmi d’autres, ils ne parviennent pas à masquer le vide créé par le culte de la performance, l’ennui et la pornographie. La peur seule est acclamée comme valeur suprême, préalable à l’asepsie, à la violence, à la xénophobie. Grâce à elle, nos enfants ont pu s’entraîner à l’architecture humaine, à Abou Ghraïb. La provocation est extrême, parfois insoutenable. Culottée et géniale lorsque la femme très blanche revêt la cagoule et la robe du KKK, elle invite l’angoisse quand les fouets claquent sur des corps dévêtus, hurlants et suppliants.
Ironiquement, le réconfort vient de caddies qui organisent un ballet sur Le Beau Danube bleu et dissimulent la violence pour un temps. Jésus Christ ne porte plus sa croix. Il déambule aveugle à l’agitation du monde, rendu incapable de racheter quelque péché que ce soit tandis que le sofa sait offrir un refuge temporaire. Son confort encourage à tout accepter, actes et paroles, et amplifie jusqu’à la boursouflure l’immonde tolérance. Pleine d’adoration, une femme s’accouple à lui, espérant que son sac à main lui donne des bébés.
Pourtant, lorsque l’humanité défaite se drogue, l’oreille distraite par une russe brûlante adoptant le nazisme par amour de la mode, ce même sofa Chesterfield devient berceau de la révolte. Les huit performeurs réunis entonnent un Fuck them all libérateur qui n’épargne personne: musulmans, femmes émancipées, prêtres catholiques, ministre de la culture, homosexuels, noirs, programmateurs, Jan Fabre, juifs, spectateurs professionnels exonérés et performeurs qui pensent changer le monde en pissant sur scène… Le monde entier tient dans cette formidable colère qui se retire lentement pour laisser éclater une danse rauque et roulante qui exalte les corps avec justesse et piétine les coussins jusqu’à en extraire une joie féroce.
Cette orgie de la tolérance, c’est du théâtre comme il était à espérer et à prévoir. Jan Fabre est un détracteur inlassable du cynisme. Il saccage la scène et la pudeur, puis il éteint le feu et nous oriente vers l’espérance : «ceci est peut-être un nouveau commencement…»
— Durée : 1h40
— Concept, mise en scène, chorégraphie et scénographie: Jan Fabre
— Textes créés avec les performeurs
— Dramaturgie: Miet Martens
— Musique et paroles: Dag Taeldeman
— Lumières: Jan Dekeyser, Jan Fabre
— Costumes: Andrea Kränzlin, Jan Fabre
— Prothèses: Denise Castermans