ART | EXPO

L’ordre des références

11 Sep - 31 Oct 2014
Vernissage le 11 Sep 2014

François Mazabraud nous invite par des moyens détournés, de la sculpture à l’image, en passant par l’installation et le son, à déambuler avec lui. Rien ne vient de manière ostentatoire et le langage des mots est utilisé comme un relais astucieux, permettant de se faire rencontrer des formes issues des diverses flâneries de l’artiste.

François Mazabraud
L’ordre des références

Derrière un titre aussi sérieux que «L’ordre des références» se dissimule une douce espièglerie reflétant un intérêt pour le détournement des objets et des mots. Il s’agit d’enregistrer les écarts entre le centre et les marges d’un espace de signes et de capter un instant fugitif où le présent se déprend du passé pour représenter les caractères étranges et imprévisibles du vivant.

François Mazabraud nous invite par des moyens détournés, de la sculpture, à l’image en passant par l’installation et le son à déambuler avec lui. Il nous convie à reconsidérer les contours de Lutèce, à marcher entre des usines géantes d’Aubervilliers et une petite marbrerie abandonnée, à prêter attention aux réseaux de notes de bas de page référents à d’illustres philosophes et écrivains qu’il peint à certains coin de rue pour enfin écouter la distance qui sépare l’accent chaleureux d’un émigré sénégalais de la diction d’une latiniste aiguisée.

Croiser les seuils de hiérarchies pour entendre, regarder et arpenter le détournement d’objets et de signes, à fleur de sens, c’est ce vers quoi tend cette exposition. Mais à l’ordre du jour est l’importance de l’expérience au détriment de la connaissance. Car il pourrait s’agir aussi bien de l’ordonnancement anonyme des informations que nous relayons que de l’injonction innocente mais cinglante d’acquérir des repères stables.

Ainsi depuis quelques années lorsque François Mazabraud lit une page d’un livre qui expose une situation dans Paris, il en fait une note de bas de page. Chaque note de bas de page est ensuite peinte à la bombe au pochoir dans la rue citée dans le livre; chaque note renvoie à une autre note composant un parcours entre fiction textuelle et réalité urbaine. Un passant regardant une note de bas de page sur un bas de mur peut être amené à lire le passage dans le livre en question qui renvoie implicitement dans une autre rue où a été peinte une autre note de bas de page, etc.

Les notes de bas de pages peintes sur le bas des murs sont très précisément exécutées et si discrètes que peu de gens y prêtent attention. Les spectateurs sont souvent des marcheurs absorbés dans une activité, en train de «penser», la tête baissée. Il faut croire que ces traces sont autre chose que du «street art»; d’ailleurs, des agents de propreté de la ville de Paris décident régulièrement d’effacer des graffiti sans toucher à la note de bas de page située sur le même mur.

Jusqu’à ce jour 22 notes de bas de pages ont été peintes dans diverses rues de la capitale. S’en suit un travail de documentation régulier ( photographie, dessin, maquette ) dont les traces influencent l’édification de la première forme de manifestation autonome (le sens du parcours dans les rues et les livres) avant qu’elle ne soit prolongée sous forme d’exposition à l’intérieur de lieux dédiés à l’art et sous la forme d’une édition.

L’exposition «L’ordre des références» sera l’occasion de repenser la marche de ce projet. Chaque photographie de note de bas de page sera présentée dans un cadre unique lié au contexte du livre et de la rue. Ces cadres et photos composeront le fil conducteur de l’exposition. Par analogie avec l’espace vertical des murs de la capitale, ils occuperont les murs de l’espace d’exposition. Les spectateurs s’en approcheront par l’intermédiaire de deux autres pièces.

L’une est une installation vidéo nommée Correspondance, dans laquelle des émigrés d’Aubervilliers ont répondu à une interview expérimentale. Ces derniers devaient tenter de répéter en latin des propos qu’ils avaient au préalable tenu en français. Le dispositif de présentation fonctionnera comme le miroir de ce type d’interview. Le son sera dissocié de l’image. Ici et là, en premier lieu des micros modifiés (accueillant un lecture mp3 invisible) laisseront entendre de manière énigmatique les paroles en latin censées émerger de la bouche de visage présent sur un écran muet que les spectateurs verront uniquement dans un autre endroit de l’exposition. Le spectateur entendra des mots dont le seuil sonore a été retravaillé de manière à sculpter l’espace d’exposition.

Au sous-sol, l’autre installation nommée Terrain vague invitera le spectateur à continuer le parcours des notes de bas de page présent sur les murs. Cette installation est composée de plusieurs milliers de balais industriels modifiés et retournés dont on ne voit plus que les qualités naturelles, à savoir les fibres de coco. Ici et là, émergeront au milieu de ce champ de fibres des chutes d’albâtre provenant de l’arrière cour d’une marbrerie abandonnée d’Aubervilliers. Les spectateurs marcheront sur l’étendue de fibres de coco participant à brouiller la perception des motifs des balais et renforçant, par la même, la solidité et la majestueuse inaltérabilité des chutes d’albâtre. Tranchant avec les sonorités urbaines du rez-de-chaussée, l’installation mettra en scène la solitude du spectateur marcheur, qui, dans le sous-sol silencieux de la galerie sera, à chacun de ses pas, le seul vecteur d’un son renvoyant à un monde étrangement rural.

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