Diogo Pimentão
Longueur sans largeur / Point sans partie
De ce fait, il s’est inspiré d’un geste de travail: celui de frotter, avec un fragment du plastique d’emballage de feuilles, un dessin au graphite. Le fragment en question est devenu la pièce Codificado – impressão transparente (2011). Ses doigts y laissent une empreinte par la pression du frottage sur le plastique transparent où les informations techniques et commerciales, en noir, sont imprimées. Côte à côte se trouvent donc les empreintes des doigts et le code-barres, deux sortes d’informations codées portant la trace identitaire du sujet et de l’objet.
Pour Diogo Pimentão, le dessin est affaire de contact. Il obtient de ce moment empirique de rapprochement radical entre deux entités un basculement de la chose représentée vers le potentiel de la trace et du vestige. Le dessin n’est plus simplement une question de représentation à distance, de relation entre l’oeil et la main, mais entre deux matières qui s’impriment l’une dans l’autre et de l’information que ce contact induit.
De cette façon, Données (2011) est une lecture de notre époque numérique: des boîtes de CD de données portent la trace de brûlures, des points noirs où le plastique s’est ramolli et a brûlé. Une relation sémantique s’établit entre la donnée perceptive et la donnée informatique, d’autant plus qu’en portugais ou en français on «grave» un CD, mais en anglais on le «brûle» («to burn a CD»).
L’information abstraite est pourtant à l’oeuvre dans le dessin depuis longtemps. Celui-ci a toujours été le support du projet, même en tant que simple croquis. Ainsi, l’oeuvre la plus énigmatique de l’exposition est une sorte de chute potentielle d’un tasseau en bois — qui est déjà en lui-même une part du dessin — dont quelques moments de la trajectoire sont dessinés au sol à l’aide de crayons de maçon. Cette pièce fait du dessin et de la sculpture la géométrie descriptive d’un mouvement accidentel, aussi abstraite qu’une gravure de CD, qu’un code-barres ou qu’une impression digitale. Et c’est bien là que la question de la représentation se pose: au moment du contact comme au sein d’une figuration mathématique du mouvement, y a-t-il représentation?
Sensitivo (2011) nous met sur la piste d’une réponse possible. Sur une surface sont punaisées des coupures d’impressions de parties non identifiables comme telles du corps de l’artiste (mains et bras droits et gauches). Lorsque la chose devient information, ou plutôt, porte en elle une information prélévée entre la matière et la surface — ici la peau et la teinture de graphite — de quelle sorte de représentation s’agit-il? Certainement d’un potentiel de présence à travers la marque d’une absence. Absence du moment de l’impression, du geste qui l’a révélée, du corps qui s’y est laissé prendre en image. Présence, en creux, dans la surface comprise comme matière et de la matière comprise comme surface (la peau).
Cette force du potentiel de dessin autant dans le matériau que dans la feuille vierge est présente dans une autre nouvelle pièce (de la série «Parcours»). Une feuille en papier prise entre deux parallélipipèdes en béton est installée entre le mur et le sol, comme s’il était question d’une maquette d’architecte contemplant les volumes possibles à partir d’un plan en longueur. Mais aussi en rappelant qu’une feuille est avant tout une surface où l’on inscrit de l’écriture ou du dessin. Ce rassemblement des discipines mais aussi de leurs langages possibles fait du travail de Diogo Pimentão une étude de l’hétérogénéité de l’expression du sensible pour laquelle le dessin est un territoire élémentaire.