La BF15 inaugure avec «Longitude» une nouvelle forme de programmation pour l’année 2012. Chaque exposition présentera deux artistes qui n’ont à première vue rien en commun, qui peut-être ne se connaissent pas, ou qui n’ont jamais travaillé ensemble.
L’objectif est de confronter au sein d’un même espace des pratiques divergentes, de provoquer des rencontres inédites, et de proposer une nouvelle lecture des Å“uvres et des inspirations originales pour les artistes. La BF15 se place donc résolument sous le signe de l’expérimentation.
Travaillant à partir de l’image de synthèse, Thomas Léon présente ici la vidéo Glass House (un film de repérage), qui a été réalisée à partir de notes laissées par le cinéaste russe Eisenstein à propos d’un projet de film sur l’architecture de verre expressionniste et moderniste. Thomas Léon présente de ces notes une interprétation libre à partir de bâtiments remarquables de ces architectures de verre, réalisés ou eux aussi laissés à l’état de projet.
La vidéo consiste en un long travelling vertical et circulaire. Le mouvement ascendant, très lent, tourne le long d’une immense tour utopique, composée de bâtiments de verre mis bout à bout. Parmi eux une architecture de Franck Lloyd Wright, de Bruno Taut, un cabinet d’architecture néerlandais aux pièces modulables, ou encore une construction fantaisiste imaginée par Thomas Léon lui-même.
Le jeu des transparences et des reflets des parois de verre, qu’Eisenstein voyait comme le miroir de la solitude propre à l’individu dans le monde capitaliste, est ici mis en Å“uvre, mais sans qu’aucun personnage n’apparaisse. Habitué des longs plans séquences, Thomas Léon a entrecoupé son travelling avec un plan circulaire autour de quatre objets de verre (la tour, la coupole, etc.) qui renvoient directement aux architectures évoquées. Ces objets représentent en quelque sorte les formes primaires à partir desquelles s’organise la réflexion de l’architecte.
L’image de synthèse est une constante dans le travail de Thomas Léon. Là où la vidéo autorise par le montage une superposition des espaces (deux plans successifs permettent un rapprochement entre deux espaces parfois très éloignés), l’image virtuelle permet de structurer le temps en le modelant selon les besoins (suspension, étirement, boucle, etc.).
Le son, aussi important que l’image, est à chaque fois composé pour la vidéo. Pour Glass House, Thomas Léon a utilisé un Cristal Baschet: instrument créé en 1952, composé de tiges de verre que l’on frotte avec les doigts. La sonorité «cristalline» se rapproche de certains sons de synthétiseur. Répartie sur cinq enceintes, la bande sonore produit un effet immersif qui répond à l’image et plonge le spectateur au centre de la vidéo.
La seconde œuvre de Thomas Léon, Sans titre (Ghost Tower), s’inspire des architectones de Malevitch, ces maquettes d’architecture censées mettre en espace, sans visée fonctionnelle, les formes géométriques du suprématisme en peinture.
La sculpture en bois peint en noir a la forme d’une tour couchée sur son flanc, comme effondrée. Cette construction abrite un dispositif sonore retransmis par des enceintes incrustées dans les faces de la tour. Trois pistes se succèdent, créant un récit musical abstrait qui semble véritablement sortir de la tour, comme si une activité bouillonnante se déroulait en son sein. Le public est invité à tourner autour pour faire expérience du son.
Le deuxième artiste de cette exposition est le peintre Guillaume Louot qui poursuit le travail radical entrepris par le groupe BMPT (Buren, Mosset, Parmentier, Toroni) dans les années soixante, à la recherche d’un degré zéro de la peinture.
Il lui a été demandé ici de répondre à la tour fantôme de Thomas Léon. Il en a repris les dimensions et la couleur pour en faire une manière de gabarit sous l’aspect d’un aplat noir. Ce gabarit a ensuite été reporté sur les trois murs de la pièce à intervalles réguliers pour donner un ensemble de 18 panneaux intitulé P. R. GT2.
Guillaume Louot travaille par protocole. Le gabarit reprend la forme du tableau, sa position verticale, mais se sépare du châssis et de la toile pour apparaître directement sur le mur en monochrome, de la manière la plus neutre possible. Une première marge blanche est choisie puis reportée en même temps que chaque gabarit. Le lieu détermine le nombre de panneaux et leur écartement, chaque gabarit devant être entièrement reporté.
Guillaume Louot conçoit son action comme un all-over, la surface disponible est entièrement investie et c’est l’ensemble qui constitue l’œuvre. Vers une peinture sans message, sans objectif autre que sa diffusion dans l’espace, pour en devenir un marqueur, une sorte de révélateur. La forme finale est déterminée par l’espace, à l’inverse de Frank Stella dont le châssis est déterminé par le dessin.
Guillaume Louot présente également DECA, qui fonctionne en quelque sorte comme l’index de P.R.GT2. L’Å“uvre se compose de trois panneaux représentant le gabarit à échelle un demi dans ses trois phases de réalisation, d’abord le contour au crayon, la sous-couche grise et enfin le monochrome noir. DECA pour «décalibrage», une décomposition du procédé de réalisation qui fait presque office de cartel à l’Å“uvre qui la précède. Si les peintures reportées ont déjà eu de multiples déclinaisons par le passé, DECA a été imaginé pour l’occasion.
Cette exposition rapproche donc deux artistes aux univers tout à fait éloignés, bien que toujours en référence aux aînés de l’art moderne. L’objectif n’est pas de créer artificiellement des ponts, mais d’investir un lieu de diverses manières à la fois. Là où Thomas Léon nous plonge dans une expérience sonore et visuelle, Guillaume Louot se concentre sur l’espace physique. La rencontre fonctionne parce qu’elle n’est pas forcée, chacun développant son travail selon ses propres critères.
Oeuvres :
— Thomas Léon, Glass House (un film de repérage), 2011. Vidéo
— Thomas Léon, Sans titre (Ghost Tower), 2011. Installation sonore multipoints
— Guillaume Louot, Peintures Reportées GT2, 2011. Installation
— Guillaume Louot, DECA, 2011. Installation