Céline Berger, Damien Cadio, Eric Corne, Gregory Forstner, Katharina Ziemke
L’Ombre ou la lune et les feux
«Le titre de cette exposition fait directement référence à La lune et les feux, le dernier roman de Cesare Pavese qui décrit le retour impossible du narrateur dans sa région natale après la fin de la seconde guerre mondiale. Il est devenu étranger dans son propre village, ses souvenirs d’enfance et d’adolescence ne peuvent entrer en concordance avec les faits qui s’y sont déroulés pendant la guerre.
Cette question d’être un témoin impossible me semble un des aspects de la création contemporaine. L’ici et maintenant ne sont plus perceptibles, une solidarité au réel s’est dissoute. Les scènes peintes aux aspects souvent métaphoriques ne délivrent aucune compréhension évidente, mais des récits éclatés. Peintres, nous nous saisissons de toutes les images, de peintures bien sûr, mais aussi de la bibliothèque Google et toutes ses aberrations. Nous les métamorphosons avec nos écritures
picturales, car comme le dit David Lynch «J’ai appris que, juste sous la surface, il y avait un autre monde».
En effet, je perçois que nos oeuvres respectives travaillent ces questions. Tous les cinq (et nous ne sommes pas les seuls évidemment) avons ce permanent plaisir de s’immerger dans la peinture, sa matérialité, sa lumière et ses couleurs. Notre expression passe par là , même si nous faisons des vidéos, des dessins, des sculptures… nous restons peintres.
La peinture a cette capacité de s’affranchir d’un contexte qu’elle ne nie jamais complètement. Le lieu, le milieu ou la zone de l’oeuvre sont alors à comprendre comme autant de tentatives de dire la place de ce qui n’a pas de place, de dire la manière d’apparaître de ce qui n’est pas là .
La plupart des artistes exposés ici ont été montrés dans un certain nombre d’expositions que j’ai organisées en France comme à l’étranger. Jusqu’à ce jour, je n’ai jamais voulu mélanger mes activités de commissaire et d’artiste, mais c’est sur l’invitation de Patricia Dorfmann que j’ai accepté d’exposer avec des artistes dont j’admire l’oeuvre et avec qui j’ai une véritable complicité.
Avec Damien Cadio, Céline Berger et Katharina Ziemke cette perspective d’exposition nous tenait depuis longtemps à coeur. Réciproquement, l’attachement et le regard que nous avons sur nos oeuvres respectives sont très importants. Avec Gregory Forstner c’est notre première collaboration, mais je suis depuis longtemps son travail que j’aime beaucoup dans sa grave ironie.
Nos discussions, nos soutiens respectifs sont fondamentaux. Nous avons tous des parcours singuliers. Katharina Ziemke après avoir étudié aux Beaux Arts de Paris est retournée vivre à Berlin, de même pour Damien Cadio. Céline Berger vit à Moscou et Gregory Forstner à New York. Si je suis resté à Paris, je passe beaucoup de temps à l’étranger et notamment au Brésil.
Dans nos peintures, cette déterritorialisation est perceptible, elle se découvre en nouveau territoire de peintures avec de multiples influences. Les peintres qui sont réunis dans cette exposition à travers l’objectivité de leur sujet, la précision de la figuration, leur réalisme avec des styles différents, révèlent en fait l’insaisissable.»
Propos d’Eric Corne recueillis le 20 février 2011, Paris