Deux vidéos d’une quinzaine de minutes projetées sur grand écran constituent le corps de l’exposition. C’est Mathilde Rosier qui a composé la musique et qui l’interprète (chant, instruments). C’est dire l’importance des bandes-sons où prédominent les rythmes lents et lancinants afin de faire valoir «les capacités hypnotiques de l’image en mouvement».
Dans Loin de Honolulu, à l’exception de la scène où l’artiste tournoie en dansant dans une pièce, il y a très peu de mouvement. La vidéo se compose de deux longs plans fixes: l’un sur un bateau immobile en mer envahi peu à peu par la pénombre, l’autre sur le visage aux yeux clos de l’artiste, comme endormie sur un drap orné de petites étoiles. L’envoûtement est créé par le son des galets roulés par le ressac et par la lenteur qui confère du poids à de micro-événements : battements de paupières, tombée de la nuit.
Time and Place est composé d’une plus grande variété de séquences qui recréent l’ambiance d’un ailleurs tropical. La narration a également sa place, même si on retrouve un type de durée semblable à Loin de Honolulu. Des plans fixes font suite à des défilements de paysages à travers de vitres. De petites scènes se succèdent, sans lien apparent, qui créent une atmosphère de moiteur tropicale. Une sorte d’exotisme au sens premier : loin d’ici.
Ainsi cette séquence en gros plan d’un voilier indigène ballotté par les flots, au-delà d’une dune, filmé de très loin. Aussi, la présence de l’artiste et d’un homme peut-elle sembler incongrue. Mais ne pas fixer le sens autorise ces petits îlots autonomes, tel ce beau plan où, derrière une grille, apparaît le visage de l’artiste dont les lèvres rouges s’entrouvrent pour chanter : «amour à mort»
La fin du film s’attarde sur le sol tapissé de feuilles et d’eau, où surnagent quelques batraciens : la vie grouillante et la profusion de la vie animale.
Les story board de l’artiste font mieux apparaître certains des enjeux des vidéos. Par exemple, le dessin d’un lit sous un drap transparent, en forme de cloche, que Mathilde Rosier désigne comme «le lit dans le ventre, voluptueusement régressif». Or, à peu près au milieu de Time and Place, une longue scène montre l’artiste couchée dans un lit, recouvert d’une tenture transparente, dans une pièce située dans un endroit indéterminé, qu’on imagine facilement au milieu de la jungle. L’artiste veut explicitement que le spectateur «se perde» et accède à «une compréhension pré-logique» du monde.
Dans la vidéo Ballet pour une limace (présentée sur un écran plasma, et vendue en DVD), une limace ondule lentement sur un fond neutre, filmée en gros plan en légère contre-plongée. Elle étire ses antennes et virevolte sans véritablement se déplacer, comme en apesanteur. Ce petit gastéropode s’adonne à une danse toute en séduction accompagnée par les longues stridulations d’un son continu, qui pourrait aussi bien évoquer une temporalité archaïque. «Un détournement positif de l’effet hypnotique de la télévision—non plus perçu comme abrutissant mais comme stimulant» (Mathilde Rosier).
— Far from Honolulu, 2003. Vidéo: film et bande son par Mathilde Rosier. 11’/Support DVD.
— Time and Place, 2003. Vidéo: film et bande son par Mathilde Rosier. 23’/Support DVD.
— Ballet pour une limace, 2002. Vidéo: film et bande son de Mathilde Rosier. 11’/Support DVD.
— Story Boards, 2003. Technique mixte sur papier.