Sarah Tritz
L’œuf et les sandales
L’exposition personnelle de Sarah Tritz, «L’œuf et les sandales», présente un ensemble inédit d’œuvres spécialement pensées pour le Parc Saint Léger, et qui sont agencées avec des pièces plus anciennes, dans une pratique de l’assemblage et de la composition, tout à fait symptomatique de la démarche de l’artiste. Quant au rapprochement inattendu que suggère le titre, il met à jour le processus qui est à l’œuvre dans le travail de l’artiste, où les combinaisons d’éléments disparates, tout à la fois familières et étranges, nous invitent à nous libérer de formes, d’idées et de sensations statiques et normées.
Chez Sarah Tritz, dans un même élan, l’abstraction côtoie la figuration, la renaissance italienne côtoie le minimalisme américain, le geste de l’artiste côtoie celui de l’artisan, les objets trouvés au hasard des ballades côtoient des sculptures pour certaines minutieusement élaborées, pour d’autres évacuées d’un geste quasi primitif. Les emprunts répétés aux artistes qu’elle aime et regarde — de Lucio Fontana à Eva Hesse, de Piero della Francesca à Oyvind Fahlstrom, sont une façon pour l’artiste de proposer un exercice de regard personnel sur le travail de ces artistes qui se défierait de toute catégories normatives. Il y a chez elle un désir irrépressible de créer des formes qui naissent de la vie quotidienne et de ses songes, des nécessités du corps et de ses relations à l’environnement, que cet environnement soit son atelier, la rue ou les pages d’un livre sur l’art étrusque.
Elle sculpte, dessine, créé des bijoux, imagine des affiches, mais ne nous y trompons pas, tout chez elle est prétexte à un travail autour de la peinture, de ses enjeux et de son territoire. En lectrice de Fontana et de son Manifeste blanc (1966), qui déclarait que «la toile n’est pas ou plus un support mais une illusion», elle opère à sa façon cette transition de la peinture vers son environnement. La peinture acquiert un rapport à l’espace et à l’architecture grâce à la sculpture, elle s’échappe, sort de son cadre, se pose un instant sur un muret carrelé, investit l’instant d’après une sculpture qu’elle vient orner comme une parure précieuse. La peinture n’existe plus seulement pour le regard de l’observateur qui s’abîme en elle mais au contraire s’ouvre largement aux hasards de son environnement non pictural. Son travail invite le spectateur à une promenade, une flânerie qui engage tout autant son corps que son imaginaire.
La question du corps est d’ailleurs centrale: corps du spectateur on l’a vu, tour à tour happé, séduit ou désorienté; corps de l’artiste suggéré par les gestes et empreintes qu’elle pose ici ou là au gré de ses installations. Corps de l’artiste encore, par cette récurrence de la main et du pied, qui renvoient à la pratique désuète de l’académie mais aussi, plus simplement, au plaisir du toucher et du faire. Corps des sculptures enfin, qui sont envisagées comme des figures, des sculptures littéralement habitées (de photos, de bibelots, de bijoux) et peuplées par ces artistes qui hantent son travail et le nourrissent.
Dans cette exposition, Sarah Tritz propose notamment une sculpture anthropomorphique monumentale librement inspirée d’un dessin d’Antonin Artaud intitulé Totem (1946). Les dessins d’Artaud s’emparent de l’espace, y projettent textes, objets et fantômes d’êtres sur le papier. Les formes sont brutales, les corps malmenés, le trait est à la fois maladroit et étonnamment sûr, le papier est froissé, souillé, parfois gratté jusqu’à la perforation. De cette pulsion de vie qui se crie plutôt qu’elle ne s’énonce, Sarah Tritz s’inspire et nous propose dans une libre association d’idées une sculpture mi-homme mi-animal, qui agirait à la manière d’un protecteur d’une peuplade indigène.
Et c’est peut-être ainsi qu’il faut aborder l’exposition «L’œuf et les sandales» qui, selon les mots mêmes de l’artiste, est «comme une peinture éclatée et ouverte dans l’espace, incarnée par des volumes et des surfaces, peuplée de formes aussi bien anthropomorphiques qu’abstraites, essayant de préserver la perméabilité et les glissements entre ces catégories formelles et psychologiques.».
D’après un texte de Sandra Patron
Vernissage
Vendredi 14 mars 2014 Ã 18h30