La rentrée chez Perrotin s’ouvre en forme de tournis. A l’entrée des marches de l’hôtel particulier, un tourbillon coloré accueille chaque spectateur. Une toupie géante, faite de perles et de fils, tourne sur son axe pour donner une impression de vertige bienveillant.
La sculpture aussi légère qu’aérienne tourne sur elle-même, elle occupe l’ensemble de la pièce, elle refuse de se faire approcher et laisse le spectateur assister à sa révolution, à sa mise en orbite. Sculpture fixe et cinétique, ce lustre arachnéen hypnotise l’assemblée et le hall d’entrée.
Cette construction, autant mentale que physique, ne cesse de tourner à des rythmes différents. Elle prend la peine de s’arrêter pour se laisser contempler. Stoppée dans son élan, la structure perd de son volume et devient graphique. Le mouvement lui donnait de l’étoffe, du volume, l’arrêt aiguise les arrêtes de ses formes géométriques. A l’arrêt elle s’offre comme un dessin. Elle est un diamant aux lignes nettes, tracées au cordeau par du fil de couture. La rencontre des tangentes est signifiée par des perles et autres objets de verroterie. Diadème en suspension, araignée d’eau, fleur géologique, les mobiles sculptés de Lionel Estève sont tout cela à la fois, et bien plus encore.
Marionnettes volantes, échassiers suspendus non pas à une patte mais à un fil, bestiaire autant qu’herbier, entre insecte et moustiquaire, tout flotte dans une gaze légère. Tout ceci a de la gueule. Le carrousel remplit son rôle et l’espace de la galerie, il fait voltiger les fils et tisse un ballet précis et libre.
Les lois de la gravité sont écartées au profit des règles centrifuges et optiques. Axe majeur, ces cristaux de nylon et de taffetas prennent de l’ampleur en délaissant la valse à trois temps pour des rythmes plus syncopés, plus binaires. Centrifugeuse tonitruante, cousue de fil blanc, mais jamais donnée dans un blanc-seing, la carte blanche se conjugue dans un jeu subtil orchestré par des contre-pieds et de contrepoids.
Dans la deuxième salle les mobiles suspendus sont du même acabit. Plusieurs sont motorisés, les autres se contentent de se laisser bercer par les courants d’air. Cet aréopage condense la pièce et donne à voir un spectacle admirable. Tous ces éléments se disputent une place, on a du mal à trouver une cohérence dans ce tohu-bohu, mais l’essentiel est préservé. La fraîcheur et l’envie sont au rendez-vous.
Émerveillé, on se plaît à passer au milieu de cette pluie sculpturale. Il faut se faufiler sous cette averse de perles multicolores et de tissus filochés, et prendre ce crachin d’étoffe comme autant de copeaux de pierrailles. Cette sciure, cette poudre colorée, aussi proche du cocon de la chenille que des sels d’argents, tournoie comme la traîne d’une comète de perlimpimpin. Le marchand de sable est un brodeur borderline, un couturier. Le sculpteur troque son burin et son marteau pour une aiguille et deux points de colle.
Tailleur de l’impossible, faiseur de pièces uniques, ciseau d’or coupant dans le vif-argent et piquant dans les effets les plus fins, les plus ténus, l’ouvrage d’art qui sort de ses mains est un corset d’ingénieur, tapissé par des fils suspendus et riveté par de la super-glue. D’autres sculptures délaissent le registre de la broderie pour aborder celui de la joaillerie, de la forge.
Les articulations et la grammaire sont pourtant identiques. Les grandes pattes suspendues ressemblent à des méduses, à des ronds dans l’eau, à des mandibules d’insectes. Vision personnelle, tant il est vrai que chacun peut projeter sur ces mobiles des figures et des modèles différents.
La rentrée s’ouvre sur de bons auspices et on espère que les nouveaux talents sélectionnés pour la saison seront à la hauteur de cette première exposition attachante et convaincante.