— Auteurs : sous la direction de Pierre-Henry Frangne et Jean-Marc Poinsot : Stephen Bann, Annie Becq, Fabienne Brugère, Pierre Campion, Katy Deepweil, Emmanuel Hermange, Hervé Joubert-Laurencin, Gilles Mouëllic, Colette Nativel, Stéphane Peltier, Jackie Pigeaud, Patricia Plaud-Dilhuit,. Lisbeth Rebollo Gonçalves, Bernard Vouilloux, Dorothy Walker
— Éditeur : Presses universitaires de Rennes, Rennes
— Année : 2002
— Format : 23,50 x 16,50 cm
— Illustrations : aucune
— Pages : 235
— Langue : français
— ISBN : 2-86847-660-0
— Prix : 21 €
Préface : Histoire de l’art et critique d’art. Pour une histoire critique de l’art
par Pierre-Henry Frangne et Jean-Marc Poinsot
« Ccomme j’exposais, voilà bien des années, un programme d’histoire de la critique, le programme ne fut pas bien accueilli parce que, dit-on en pensant à tous les jugements erronés prononcés sur les grands artistes modernes en France, une histoire de la critique n’eut été autre chose qu’une histoire de bêtises. » Lionello Venturi [Histoire de la critique d’art, trad. française, Flammarion, p. 30]
L’ouvrage History of Art Criticism [Publié en français en 1938, puis en italien en 1945 et 948. Nous renvoyons à l’édition de 1969, Paris : Flammarion, coll. « Images et idées »] que Lionello Venturi fit paraître au États-Unis en 1936, avait le triple projet de justifier une histoire de la critique d’art, d’en fournir les principaux linéaments de l’antiquité gréco-latine à la période de l’art contemporain, de montrer enfin et en conséquence, la nécessité théorique et heuristique d’une véritable « histoire critique de l’art » [Ibid, p. 30] qui soit, en retour et selon l’expression de Benedetto Croce, une « critique historique de l’art » [Bréviaire d’esthétique, Payot, 1923, p. 120; cité par Gilles A. Tiberghien dans son introduction aux Essais d’esthétique de B. Croce, coll. « TEL », Gallimard, 1991, p. 33]. C’est à l’intérieur de ce triple projet et de ce cercle au sein duquel histoire de l’art et critique d’art se nourrissent l’une de l’autre, que nous voudrions placer le livre qui commence ici.
Comme le fait Venturi dans sa préface, nous devons admettre d’emblée que la critique d’art est un discours ou une pensée possédant deux traits principaux : elle parle des œuvres d’art non en général mais dans leur singularité même; elle produit sur elles un jugement afin d’apprécier la valeur, la qualité, le sens et la réussite d’une œuvre eu égard au dessein que l’artiste s’est donné à lui-même. La critique d’art alors, enchevêtre quatre opérations principales qui engendrent sa complexité mais qui font aussi sa spécificité et son intérêt. Ces quatre opérations sont celles de la description (puisque le critique doit rendre compte d’une rencontre sensible et particulière avec une œuvre particulière), de l’évaluation (puisque le critique juge ou apprécie la qualité, la réussite ou l’échec de l’œuvre), de l’interprétation (puisque le critique dégage un contenu ou un sens), de l’expression (puisque le critique dit ses choix, ses conceptions, ses goûts, ses sentiments). Dans ce discours nécessairement pluriel qu’est le discours de critique d’art, aucune de ses opérations ne peut exister pure ou isolément. C’est l’évaluation cependant, pénétrant les trois autres fonctions ou inversement pénétrée par elles, qui assure leur communication et donne le centre de gravité mouvant de la critique d’art: « C’est le jugement porté sur l’artiste ou l’œuvre d’art, qui doit être le centre de notre exposé » écrit Venturi [Op. cit., p. 33].
L’intrication de l’évaluation et de l’interprétation pose plus volontiers le problème des rapports entre la critique d’art et l’esthétique [sur ces questions voir Jean-pierre Cometti, Jacques Morizot, Roger Pouivet, Questions d’esthétique, PUF, 2000, chapitre VIII, p. 159 et suiv]. Ces rapports tournent principalement autour de deux questions. L’esthétique pose d’abord la question des critères d’évaluation de l’œuvre d’art et elle doit reconnaître que ces critères sont multiples, variables ou révisables et qu’ils ne sauraient être fondés ou simplement appliqués comme une règle. Les jugements critiques reposent sur des raisons ou des justifications dont l’esthétique peut interroger la légitimité. Ainsi la critique est-elle reliée à l’esthétique dans la mesure où elle possède toujours la tendance à penser ses propres justifications, à penser la valeur de ses jugements de valeur et à se faire critique de la critique [Voir par exemple A. Thibaudet, Physiologie de la critique, 1922. « Pas de critique sans une critique de la critique. » Id., Éditions de la nouvelle revue critique, 1930, p. 16]. Ainsi la critique illustre-t-elle et met-elle en œuvre la communicabilité et l’aspect argumentatif de notre expérience esthétique échappant par là même à la dimension exclusivement émotionnelle ou affective, échappant également à la dimension purement intellectuelle de la pensée scientifique pour permettre, qu’en critique d’art, on puisse, non « disputer » comme dit Kant [Critique de la faculté de juger § 56], mais « discuter ». La seconde question autour de laquelle tournent les rapports entre critique et philosophie de l’art aussi est celle de l’herméneutique dans la mesure où les évaluations critiques s’articulent sur une certaine compréhension du sens de l’œuvre, lui-même englobé dans celui de l’art et plus largement de la pensée voire de l’Absolu. C’est dans l’influence du romantisme ou des sciences de l’esprit (Geisteswissenschaften) diltheyiennes que se nouent cette relation entre philosophie de l’art et critique d’art, celle-ci trouvant dans celle-là l’horizon de significations sur lequel s’adossent ses évaluations ou ses prescriptions.
L’intrication de l’évaluation et de la description pose plutôt le problème du rapport entre la critique d’art et l’histoire de l’art dans la mesure où, dans l’une comme dans l’autre, l’analyse passe par la description non seulement de l’œuvre, mais aussi des conditions de sa création comme de sa réception. Venturi se plaignait que dans les années trente « le professeur d’histoire de l’art » oscillait entre deux attitudes, celle qui consiste à « s’en tenir aux faits » c’est-à -dire à ce qu’il appelle « l’histoire philologique » (ou la « chronique ») en restant à la description des œuvres et des faits, celle inverse qui consiste à apprécier l’œuvre à la lumière de thèmes ou d’idéaux vagues hérités de la philosophie idéaliste du début du XIXe siècle. Or l’historien d’art doit selon lui échapper à ces deux écueils et donc maintenir, au sein du travail historique, le passage explicité et maîtrisé entre la description, l’interprétation et l’évaluation. Il doit faire lucidement ce que Michael Baxandall analysera dans Formes de l’intention [1985, trad. française aux Éditions Jacqueline Chambon, 1991] à savoir une description qui est en même temps une explication et une évaluation car « ce dont il s’agit dans une description, c’est plus d’une représentation de ce qu’on pense à propos d’un tableau que d’une représentation de ce tableau. » [Ibid., p. 27]
L’histoire de l’art et la critique d’art sont unies dans la nécessité d’une démarche critique au sens large, et réflexive, démarche qui prend appui sur la saisie du fait que « quand on veut expliquer un tableau — ou plutôt quand on souhaite l’interpréter en termes historiques — ce n’est pas le tableau lui-même, mais le tableau tel qu’on se le représente à travers une description qui n’en donne qu’une interprétation partiale. » Non seulement la description est une représentation du tableau, mais elle est une représentation de représentation, c’est-à -dire une représentation de ce qu’on pense avoir vu du tableau. Elle suppose donc « un certain nombre de concepts », elle porte moins sur le tableau que sur l’effet que le tableau a sur nous, elle démontre quelque chose du tableau et a besoin de la présence de celui-ci pour pouvoir y renvoyer.
La convergence de l’histoire de l’art et de la critique d’art semble alors reposer sur plusieurs points.
1) L’explication, l’interprétation et l’évaluation sont d’autant plus communes à I’histoire de l’art et à la critique d’art que les deux activités reposent identiquement sur l’idée d’une autonomie du domaine de l’art, sur l’idée que l’activité artistique et les fruits qu’elle engendre obéissent à des déterminations ou des prétentions propres qui les distinguent et les séparent des domaines « rationnels, économiques, moraux ou religieux ». [Venturi, op. cit., p. 23]
2) Cependant l’histoire de l’art et la critique d’art ont aussi ceci de commun qu’elles pensent que le domaine autonome de l’art n’est pas complètement indépendant d’un contexte historique multidimentionnel duquel les Å“uvres tirent leurs significations. Pas complètement indépendantes de ce contexte, les Å“uvres ne sont pas non plus strictement dépendantes et déterminées par lui. Une étude de l’œuvre à la fois historique et critique de Meyer Schapiro montrerait aisément cette congruence, voire cet échange, de l’histoire et de la critique à partir « d’une pratique de l’approche multiple qui a ouvert la barrière disciplinaire de l’histoire de l’art mais sans jamais la sauter » [Jacques Leenhardt « L’homme et le style : Hauser et Schapiro », in L’Année sociologique n° 34, 1984, p. 400 et suiv.] à partir d’une histoire de l’art se faisant critique tant elle est attentive à la pluralité, à la particularité, aux aspects non homogènes, instables, aux « obscures tendances… vers de nouvelles formes » [« La notion de style », in Style, artiste et société, Gallimard, coll. « TEL », 1982, p. 48]. C’est le cercle de la critique et de l’histoire qui permet à Schapiro de critiquer Freud commentant Léonard mais d’utiliser la psychanalyse ou la psychologie quand il regarde les pommes de Cézanne, de critiquer Heidegger commentant van Gogh sans interdire l’usage de Nietzsche ou de Bergson pour comprendre l’art du début du siècle, de critiquer Panofsky pensant l’analogie entre la structure de la cathédrale gothique et la forme de la théologie scolastique, tout en concluant: « On hésite pourtant à rejeter par principe ces analogies, car la cathédrale appartient effectivement à la même sphère religieuse que la théologie qui lui est contemporaine. » [Ibid., p. 72]
3) L’idée d’une autonomie du domaine de l’art est aussi un acquis de l’esthétique philosophique née au XVIIIe siècle dans les textes de Baumgarten, Hume, Kant et Winckelmann. On peut dire alors que ce n’est pas seulement la liaison entre l’histoire et la critique qui est cimentée mais aussi celle de l’histoire, de la critique et de la philosophie de l’art. Le fait que deux historiens d’art comme Venturi et Baxandall, aussi éloignés par leur époque, leur méthode et leurs influences théoriques (I’hégelianisme pour Venturi, la philosophie analytique américaine pour Baxandall) réclament, à leur manière, l’articulation des trois modes de pensée, semble l’établir solidement. L’exemple de l’œuvre de Clement Greenberg [Voir Art et culture, Macula, 1988] également, dans la mesure où la critique de l’expressionnisme abstrait est chez lui toujours antée sur une histoire de l’art qui est une histoire de la peinture, elle-même adossée sur une esthétique essentialiste et une théorie téléologique de l’histoire : il y a selon, Greenberg, une essence de la peinture, du « medium pictural » et du tableau, essence que l’histoire de la peinture aux XIXe et XXe siècles découvre petit à petit au sein d’un processus « auto-critique » qui culmine et s’achève avec la peinture abstraite des années 40-50, c’est-à -dire avec la découverte d’une peinture « pure », d’une peinture purement picturale au sein de laquelle « le medium n’est plus dissimulé. » [La peinture moderniste, trad. française Dominique Château, À propos de la critique, L’harmattan. 1995, p. 316 et suiv.]
4) La nécessaire liaison de l’histoire de l’art et de l’histoire de la critique d’art vient aussi du fait que l’art contemporain semble se caractériser par sa dimension explicitement critique. D’une part, parce que les artistes font presque tous de la critique d’art; d’autre part, parce qu’ils considèrent la critique, au moins comme un moment de leur œuvre, au plus comme sa détermination principale englobant tous les aspects de l’œuvre. Ici encore, Greenberg nous permet d’insister sur l’aspect autocritique de l’œuvre contemporaine: « Picasso, Braque, Mondrian, Miró, Brancusi, même Klee, Matisse et Cézanne tirent en grande partie leur inspiration du médium qu’ils utilisent. Ce qui anime leur œuvre par-dessus tout, c’est le souci essentiel d’inventer et d’ordonner des espaces, des surfaces, des formes, des couleurs, etc., à l’exclusion de tout ce qui ne leur est pas intrinsèquement lié. Des poètes tels que Rimbaud, Mallarmé, Valéry, Eluard, Pound, Hart Crane, Stevens, et même Rilke ou Yeats, se concentrent sur l’effort de créer de la poésie et sur les « moments » mêmes de la conversion poétique — plutôt que sur l’expérience vécue en tant qu’elle puisse se convertir en poésie. » [Art et culture, p. 13] Critiques d’eux-mêmes, les artistes du XIXe et du XXe siècles, radicalisent ce que les romantiques allemands avaient commencé de faire, à savoir un art tout puissant et parfaitement souverain dans lequel l’œuvre, s’égalant à toutes les dimensions de la pensée, était autant artistique que philosophique et critique [Voir Walter Benjamin Le concept de critique d’art dans le romantisme allemand, Flammarion, 1986] : un art dont Hegel disait qu’il est celui, intellectualisé et ironique, de l’après-art; un art dont « les œuvres suscitent à présent en nous, outre le plaisir immédiat, l’exercice de notre jugement: nous soumettons à l’examen de notre pensée le contenu de l’œuvre d’art et ses moyens d’exposition, en évaluant leur mutuelle adéquation ou inadéquation » [Cours d’esthétique, trad. française, Aubier, 1995, Introduction, tome 1, p. 18]. Bref, un art de l’âge de l’esthétique, de l’histoire de l’art et de la critique d’art qui trouvent peut-être ces prémisses à la Renaissance tant il est vraisemblable, comme le dit Venturi, que « la peinture de Giotto a été avant tout œuvre d’art, mais aussi direction critique, acte de goût, en tant que non seulement beaucoup d’artistes ont profité de son goût pour créer leurs œuvres d’art, mais que certains écrivains ont jugé, en art, d’après les modèles de Giotto. » [Hîstoire de la critique d’art, p. 33]
5) Enfin, la liaison de l’histoire de l’art, de l’esthétique et de la critique d’art (et avec elle de son histoire) repose sur un dernier point: celui de l’espace public qui émergea au XVIIIe siècle sous la triple impulsion de l’esthétique du goût, de l’histoire de l’art et de la critique qui répondaient toutes les trois aux exigences démocratiques d’une reconnaissance de la capacité critique, réflexive et dialogique de chaque homme. Là encore, les textes de Baxandall à la fin de Formes de l’intention, nous semblent décisifs. En reconnaissant que la précarité et l’ouverture représentent « une certaine vertu », Baxandall déclare:
« Ce qui est présent derrière cette ouverture au questionnement et à la discussion, c’est la volonté candide et délibérée de lier histoire et critique — de maintenir le principe d’une double approche. […] L’ironie ici (et ce point ne manque ni d’attrait, ni d’intérêt), c’est que plus l’histoire se fait scientifique, plus elle rejoint en un sens, la critique. En me référant à la « science » […] je pense à la conception bien particulière que les scientifiques se font de la relation à l’espace public. Un scientifique doit non seulement communiquer ses résultats, mais faire part des procédures qu’il a utilisées pour les obtenir: d’autres que lui doivent pouvoir recommencer et vérifier l’expérience qu’il relate… On rend compte d’un expérience esthético-historique et des résultats qu’elle a donnés. Les éléments explicatifs, historiques, intentionnels, avancés à propos d’un tableau, sont logiquement liés à des remarques sur un ordre pictural observable et la valeur de ces remarques est susceptible d’être testée par d’autres que nous. L’histoire se trouve ainsi vouée à être la bonne critique… Cela ne fait pas longtemps que la critique d’art est devenue un métier, pas longtemps non plus qu’elle est reconnue comme une discipline universitaire. Or, en pareil cas, on a tendance à accorder assez vite à ce qu’on fait une autorité particulière… Lorsqu’on revient aux origines de l’histoire de l’art et de la critique d’art modernes, qui se situent à la renaissance, on s’aperçoit qu’elles sont réellement nées de la conversation. Vasari dit lui-même que ce sont les conversations qui avaient lieu lors des soupers du cardinal Farnèse qui lui ont donné l’idée d’écrire ses grandes Vies des artistes et ses raisonnements les plus vigoureux s’enracinent dans les arguments qui, depuis deux ou trois siècles, s’échangeaient dans les ateliers. Après tout, si ce n’était pour ce désir de dialogue, pourquoi nous livrerions-nous à un exercice aussi difficile et insolite que celui qui consiste à parler des peintures ? » [Formes de l’intention, p. 220-223].
Que le lecteur nous pardonne cette trop longue citation. Elle justifie pourtant la nécessité d’une alliance de l’histoire de l’art et de la critique d’art, l’exigence d’une histoire de la critique d’art comme complètement constitutive de l’histoire de l’art, celle enfin d’une histoire critique de l’art qui sache utiliser les outils de la critique et de l’esthétique telle que la voulait Venturi. Elle justifie aussi trois éléments que nous devons dire pour une intelligence complète des pages qui vont suivre.
1) Outre l’idée même de colloque, le texte de Baxandall justifie l’idée de notre colloque intitulé « l’invention de la critique d’art » dont nous livrons aujourd’hui, au lecteur, les actes. Les participants, français et étrangers, (philosophes, historiens d’art, critiques d’art, spécialistes de la littérature, de la photographie, du cinéma, de la musique, etc.) furent invités à réfléchir sur les conditions de possibilité à la fois culturelles, historiques et théoriques de l’émergence de la critique d’art à des époques, dans des arts ou au sein d’aires culturelles différents. Afin de construire une pensée commune enrichie des regards différents et spécifiques de chacun, ils reçurent le texte suivant les invitant à penser à la racine la question de la nature de notre regard critique, regard sans lequel il ne semble pas y avoir pour nous d’œuvre d’art.
« L’objet du colloque sera de confronter le discours philosophique, historique et critique sur la double question de l’origine de la critique d’art et des conditions, à la fois intellectuelles et culturelles, de son émergence. Comment la critique d’art est-elle pensable ? Tel est le problème d’une véritable critique de la critique d’art, qui visera à identifier non seulement les opérations qu’elle met en œuvre, mais aussi les présupposés qui la fondent et qui l’animent. Comment la critique d’art est-elle historiquement possible ? Où et quand trouverait-elle à la fois les objets de son discours, le cadre de son observation, les lecteurs de ses jugements ?
On interrogera l’hypothèse traditionnelle, et qui passe même pour évidente, selon laquelle c’est à l’époque des Lumières, à l’âge de l’esthétique du goût, de l’histoire de l’art et du musée, que la critique d’art est apparue, sous sa forme à la fois initiale et principielle chez Diderot. En remontant à travers la Renaissance jusqu’à l’Antiquité gréco-latine afin d’étudier les textes sur les œuvres, on cherchera 1) à explorer d’autres généalogies et 2) à articuler la critique d’art sur l’attitude critique au sens philosophique de jugement autonome, à laquelle Kant semble avoir apporté un achèvement théorique. On comparera les pratiques critiques dans quatre directions : 1) selon les différentes régions culturelles; 2) selon les formes d’expressions artistiques; 3) selon les points de perspective théorique; 4) selon les repères historiques.
À travers le croisement de toutes ces approches, on tâchera de réfléchir sur la question centrale de l’ouverture du discours critique dont la cartographie est d’autant plus nécessaire qu’elle est difficile à produire du fait des multiples transgressions que la critique opère entre littérature, théorie, journalisme, philosophie, etc. »
2) Le second élément consiste à préciser que ce colloque advient dix ans après la création des Archives de la critique d’art et du Laboratoire qui, à l’université Rennes 2 Haute Bretagne, accueille les chercheurs de ce vaste domaine. Au cours des dix dernières années, nous avons essayé de faire passer l’idée que la critique d’art était un objet et une pratique sur laquelle l’université, un département d’histoire de l’art, devaient se pencher, voire qu’ils devaient contribuer à former des critiques d’art en assurant la transmission de ses savoir-faire et de ses finalités. Aujourd’hui les Archives de la critique d’art ont suffisamment de documents pour envisager de chercher un nouveau lieu, plus grand et plus proche de ses lecteurs; aujourd’hui aussi l’équipe des enseignants-chercheurs qui s’intéresse à la critique ne se réduit plus à un rêveur isolé, mais réunit des talents divers sans lesquels ce colloque n’aurait pas pu avoir lieu. Pour essayer de faire un peu avancer les choses, outre la création de la bibliothèque comportant un fond de référence sur la critique et son histoire, un corpus de la critique avec la constitution de fonds d’écrits par auteurs et la conservation d’archives, les Archives de la critique d’art et l’université ont organisé plusieurs colloques. Le premier était consacré à la « Place du goût dans la production philosophique des concepts et leur destin critique », le second allait plutôt du côté de l’histoire de l’art en centrant son attention sur la description, le troisième enfin intitulé « Pratiques critiques » ouvrait la réflexion à la critique au sein des différents arts. « L’invention de la critique d’art » tente, aujourd’hui et pour sa part, de poursuivre le travail engagé en reliant et en approfondissant les trois aspects philosophique, historique et critique.
3) Pour finir, le texte de Baxandail n’aurait pas une complète justification, lui qui insiste si fort sur les vertus épistémologiques, éthiques et sociales du dialogue ou de ce que Montaigne appelait « la conférence » [une pensée amicale va vers Christophe Carraud pour la revue Conférence qu’il dirige et pour les travaux sur Pétrarque qui furent si utiles lors du colloque.], s’il n’aboutissait pas à remercier chaleureusement, outre tous les participants au colloque, d’une part les institutions qui l’ont rendu possible l’université Rennes 2, la Région Bretagne, la Ville de Rennes, le ministère de la Culture, d’autre part la secrétaire de la recherche au sein de l’UFR ALC Nelly Brégault-Krembser, enfin nos deux collègues et surtout nos deux amis que sont Nathalie Boulouch et Patricia Plaud-Dilhuit.
(Texte publié avec l’aimable autorisation des Presses universitaires de Rennes)
Les auteurs
Stephen Bann est professor of modern culture studies, université du Kent de Canterbury.
Annie Becq est professeur de littérature à l’université de Caen.
Fabienne Brugère est maître de conférences en philosophie à l’université de Toulouse le Mirail.
Pierre Campion est professeur de littérature en retraite en première supérieure au lycée Chateaubriand de Rennes.
Katy Deepwell est critique d’art, présidente de l’AICA Grande-Bretagne.
Pierre-Henry Frangne est agrégé de philosophie au département d’histoire de l’art de l’université Rennes 2 Haute Bretagne.
Emmanuel Hermange est historien de la photographie.
Hervé Joubert-Laurencin est maître de conférences en esthétique du cinéma à l’université de Paris 8.
Gilles Mouëllic est maître de conférences en études musicales et cinématographiques à l’université Rennes 2 Haute Bretagne.
Colette Nativel est chercheur au CNRS (Paris).
Stéphane Peltier est docteur en histoire de l’art, université d’Aix-Marseille.
Jackie Pigeaud est professeur de littérature à l’université de Nantes, membre de l’Institut universitaire de France.
Patricia Plaud-Dilhuit est maître de conférences en histoire de l’art à l’université Rennes 2 Haute Bretagne.
Jean-Marc Poinsot est professeur d’histoire de l’art contemporain à l’université Rennes 2 Haute Bretagne.
Lisbeth Rebollo Gonçalves est professeur à l’école de communications et d’arts de l’université de Sao Paulo et membre de l’association brésilienne des critiques d’art (AICA).
Bernard Vouilloux est professeur de langue et littérature françaises modernes et contemporaines à l’université Michel de Montaigne-Bordeaux 3.
Dorothy Walker est conservatrice de musée (Dublin).