Rebecca Brewer, Liz Magor, Marie Voignier
L’intruse
Les Å“uvres présentées dans l’exposition sont autant le résultat d’une pensée et d’une pratique de l’abstraction, modulée et métamorphosée au contact de référents observables tels que des objets familiers et intimes, que la révélation d’Å“uvres suffisamment ouvertes pour ménager plusieurs lectures potentielles et s’accorder aux autres formes côtoyées.
On pourra y découvrir un film de Marie Voignier, Tourisme International. L’artiste y pose la question du la manière dont une dictature, ici la Corée du Nord, se donne à voir à ses touristes. Musées, ateliers de peinture, studios de cinéma ou usine chimique nous sont présentés par des guides dont on n’entendra jamais les voix. Entre les images du pouvoir et le regard des touristes se dessine la chorégraphie silencieuse des guides touristiques.
Ce ballet muet de guides féminins qui évolue dans différents lieux, vraisemblablement en Asie, fait s’interroger sur les représentations de «l’Autre». Soustraire la parole «officielle» que représentent ces guides nord-coréennes, libère notre regard. Le spectateur européen ne reçoit pas d’indications concernant le pays où se déroulent ces scènes, et nous sommes ainsi libérés des préjugés que nous nourrissons à l’égard de ce grand «Autre» de la démocratie occidentale que constitue la Corée du Nord. Il reste des corps contraints par la mise en scène des visites, mais parfois gracieux aussi.
Les films de Marie Voignier parlent de l’ineffable et ce n’est pas pour cacher ou se cacher, mais au contraire pour énoncer des questions oblitérées par l’agitation ambiante et pourchasser au plus intime de l’existence individuelle ce qui la déterminent et l’oppriment, quelque soit «l’autre» et l’exotisation que l’on pratique pour que de lointain, il devienne proche.
Comme chez Marie Voignier, le travail de Liz Magor met en avant cette voix de l’invisible pour que des questions graves puissent émerger. Ce sont des œuvres, chez l’une et l’autre, qui n’élèvent jamais le ton, ne forcent jamais leurs effets, et se placent à une certaine distance de la prétendue réalité où tout est comédie pour, avec lucidité, redoubler son étrangeté. Mais peut-être que ce chemin qu’elles empruntent conduit vers une solitude vertigineuse, comme celle que l’on entrevoit dans la façon qu’a Liz Magor de nous parler d’un certain rapport à la nature, dans sa manière de la déchiffrer, depuis sa situation.
Chez Liz Magor, le paysage canadien est restitué sans illusion romantique. Il est recouvert d’informations et de commentaires. On y retrouve des réminiscences historiques et les traces que l’homme y a laissées. Ce sont des paysages dont on serait tenté de dire, selon la très belle expression d’Adorno, que quelqu’un leur a «passé la main dans les cheveux ». Les œuvres de Liz Magor respirent le travail et le repos, les profondeurs intimes du vécu à travers la réplique d’objets domestiques qui durcit et réifie une certaine fatalité entre le corps humain et le matériel. Il y a dans ce travail une sensualité de jour de pluie où les choses sont brouillées, polies ou poreuses, amollies, repliées, chiffonnées, abandonnées, délaissées, hallucinées l’espace d’un instant ou encore triturées par un jeu de main maniaque ou désintéressé.
Rebecca Brewer est une peintre qui assume le mensonge de la peinture. En une œuvre, elle restitue sa propre digestion des mouvements contradictoires de l’histoire de l’art, depuis le geste de recouvrir à celui de sectionner et labourer afin que l’attrayante diversité ne se dissolve jamais et que le temps de travail ne soit ni abstrait, ni interchangeable. C’est une manière de peindre qui s’amuse à faire des bonds dans le temps pour mieux assumer une contradiction toute personnelle (l’absence de masque) et se dépasser soi-même. D’une certaine façon, l’artiste nous rappelle que l’autre doit être perçu pour lui-même et non selon notre propre volonté.
La peinture de Rebecca Brewer exprime, à la limite de la figuration et de l’abstraction, avec des moyens de la modernité, un rapport au sauvage, incarnant peut-être une figure pré-historique du peintre. Cette grande pièce de feutre sur laquelle elle a peint, le pigment accrochant difficilement le matériau laineux, fait penser par sa forme aux esquisses de la grotte de Pech-Merle, et à ces expérimentations que l’on fait enfant, sans avoir acquis le savoir-faire technique de l’art. Assumer ces tentatives expressives, plutôt que contrôler l’expression par des formes admises, est la grande force de Rebecca Brewer.
Rebecca Brewer est née en 1983 à Tokyo. Elle vit à Vancouver, Canada.
Liz Magor est née en 1948 à Winnipeg, Canada et vit à Vancouver.
Née en 1974, Marie Voignier vit à Paris.