Pour son inauguration, la Maison Rouge, ancienne usine réhabilitée, dévoile un projet unique sur quelque deux mille mètres carrés transformés en espace d’exposition.
Créée à l’initiative d’Antoine de Galbert, cette fondation privée pour l’art contemporain propose ici une visite insolite au cœur de collections particulières, représentatives de diverses tendances artistiques actuelles. Seize collectionneurs ont ainsi accepté que soit reconstituée à l’identique une pièce de leur habitation.
En présentant grandeur nature des fragments d’intérieurs — salons, chambres, bureaux ou corridors —, l’exposition met le spectateur en présence de ce qu’il ne voit jamais : le cadre intime du collectionneur et la relation singulière qu’il entretient avec ses œuvres d’art.
Ces œuvres, dégagées de la neutralité du white cube de la galerie qui caractérise traditionnellement leur contexte de présentation, sont restituées à travers le regard particulier du collectionneur qui se les approprie.
Si ces collections sont d’exactes reconstitutions, fidèles à la réalité, le nom des collectionneurs n’est jamais mentionné. Ce parti pris d’anonymat écarte paradoxalement l’effet de réalisme et ouvre de multiples possibilités d’interprétation. Le mystère et le pouvoir de ces objets restent intacts, et le visiteur peut à tout moment basculer dans la fiction.
Les enfilades de pièces, sans lien entre elles, suggèrent en effet, loin de l’anecdote, un portrait du collectionneur absent et de ses visions parfois troublantes.
On y croise les mouvements les plus divers de la création contemporaine, pour la plupart récentes, à côté d’œuvres plus fonctionnelles ou ethnographiques. Sur le mode de l’accumulation, ou de sélections plus spécialisées (dans le choix d’un support ou la prédilection pour un artiste en particulier), les objets se détachent de leur « domesticité » pour révéler le quotidien dans un aspect tantôt rituel, humoristique ou étrange.
La chambre à coucher, à demi-éclairée, rassemble des œuvres d’Henri Michaux, Gina Pane, Hermann Nitsch, Arnulf Rainer, Franz West, Tetsumi Kudo, etc., mais aussi une châsse de verre contenant la relique de sainte Philomène, des masques africains et océaniens.
L’atmosphère chargée du lieu, habité par des icônes obscures, des représentations parfois violentes, provoque une étrange sensation de malaise. Le lit encadré par quatre caméras de surveillance braquées sur de potentiels dormeurs place le spectateur dans une position de voyeur.
Les différentes pièces reflètent une part de l’intériorité du collectionneur, mais témoignent également de sa relation à la figure de l’autre, celle de l’artiste dont il fait entrer le travail dans sa maison, acceptant que ce dernier le regarde à son tour. Dans la salle de bain, une sculpture de Paul McCarthy est placée à côté de la baignoire et se reflète dans un miroir. Un autre collectionneur y a exhibé ses fantasmes à travers des vidéos et images érotiques.
L’exposition aborde également des problématiques plus actuelles touchant à la relation du collectionneur à ses objets. Elles sont liées à des contraintes matérielles de stockage et de conservation autant qu’à des critères subjectifs. Si certains accumulent dans l’espace privé, d’autres se détachent inversement de leurs biens, déposant partiellement ou intégralement leurs collections dans divers musées européens. C’est le cas d’un collectionneur qui a choisi de vivre dans un espace vide, avec pour seule relation matérielle à ses objets une liste des œuvres en sa possession.
Ainsi le « devoir » de constitution d’un ensemble savant et cohérent traditionnellement associé à l’idée de collection n’apparaît plus déterminant.
L’exposition retrace certaines étapes de l’histoire de l’art, globalement récente, mais dont la linéarité serait déconstruite, au profit d’univers variables à l’infini.
Elle témoigne de la diversité de la création contemporaine dans ses orientations, et d’une expansion des territoires de l’artiste dans le champ de la réalité, de la culture et du design, comme autant de propositions d’habitation.