Antoine de Galbert
L’intime, le collectionneur derrière la porte
Présentation
La maison rouge est une fondation privée, reconnue d’utilité publique. Elle a été créée pour promouvoir la création contemporaine en organisant des expositions temporaires, confiées à des commissaires indépendants. Elle offre au public, à deux reprises durant l’année, de découvrir d’importantes collections particulières de dimensions internationales, tout en se consacrant, pour le reste de sa programmation, à des expositions monographiques ou thématiques.
La maison rouge est née de l’initiative d’Antoine de Galbert, amateur d’art engagé sur la scène artistique française. Antoine de Galbert n’y expose pas sa collection personnelle, mais sa personnalité et sa démarche de collectionneur orientent totalement le projet.
Le bâtiment situé dans le quartier de la Bastille, face au port de l’Arsenal, s’étend sur un site de plus de 2 000 m2. Les espaces, ceux d’une ancienne usine entourant un pavillon d’habitation, sont répartis en quatre salles d’exposition autour de ce pavillon baptisé « la maison rouge ».
Ce nom témoigne aussi de la volonté de faire du lieu un espace convivial, agréable, où le visiteur peut voir une exposition, assister à une conférence, boire un verre, explorer la librairie…
L’exposition
L’exposition inaugurale de la Maison rouge traite de la relation du collectionneur à ses œuvres. Avec la complicité de Gérard Wajcman, la maison rouge dévoile au visiteur certaines formes de ce rapport singulier, intime et quotidien à travers un dispositif exceptionnel. Sont présentées dans les espaces de la fondation seize boîtes, seize «maisons», reproduisant chacune, grandeur nature, une pièce de l’habitation de seize collectionneurs différents (une chambre, un salon, un bureau, des toilettes…).
Cette exposition ne traite pas des collections dans leur intégralité. Il s’agit plutôt de faire apparaître au travers de fragments d’espaces privés, différentes manières de vivre avec les œuvres, mais aussi quelques moments de la vie des œuvres elles-mêmes. L’intime donne matière à considérer d’une part, l’idée de possession ou de détachement, et, d’autre part, l’opération de réappropriation que constituent le choix et l’acquisition d’une œuvre d’art. Le dispositif choisi met en valeur la confrontation entre les œuvres dans un univers habité, leur déplacement depuis l’espace de l’atelier, de la galerie ou de la salle des ventes vers la sphère privée.
Cette exposition est, par ailleurs, directement liée aux formes les plus actuelles de l’art contemporain, qui ont transformé le mode de vie des collectionneurs. En effet, certains d’entre eux ne vivent plus avec leurs œuvres, pour des raisons intellectuelles, personnelles, ou par impossibilité pratique.
D’autres, au contraire, s’inscrivent dans le processus historique de l’accumulation. La plupart se tiennent dans une attitude intermédiaire qui consiste à la fois à conserver, à prêter et à stocker.
Le projet est très loin d’une démarche « d’inventaire », il ne prétend évidemment pas à l’exhaustivité, ni même à l’exemplarité des collections choisies. Il reste également éloigné d’une pensée de hiérarchisation : les pièces exposées correspondent à des collections de dimensions et de valeurs diverses. Il ne défend pas une idée préconçue de la collection : une typologie est impossible car il y a autant de collections qu’il y a de collectionneurs. Chaque collection demeure singulière.
L’intime dévoile donc seize singularités. C’est pourquoi les pièces sont disposées dans l’espace, sans lien entre elles. Pour éviter de présenter des «décors», le réalisme dans le détail des reconstitutions n’a pas été recherché. En confrontant le visiteur à la «collection» telle qu’elle est chez le particulier, l’exposition le met en présence de ce qu’il ne voit jamais : des œuvres au quotidien, dégagées de toute la neutralité que leur doivent habituellement musées, galeries ou catalogues. Ces œuvres sont au contraire, vues dans leur relation à un lieu, ses fonctions, son mobilier, les traces de la vie qui l’habite, comme à d’autres œuvres. Le spectateur peut imaginer et mieux comprendre ce qui constitue le principe fondateur de la collection : le regard qui réunit ces œuvres.
Parcours de l’exposition
L’exposition s’ouvre sur un clin d’œil d’Antoine de Galbert. Il accueille les visiteurs de L’intime dans le Vestibule de sa propre maison. Du sol au plafond et sur 20m2, plus de soixante-dix œuvres d’artistes du XXe siècle y sont rassemblées : un collage de Kurt Schwitters, un texte brodé d’Alighiero e Boetti, des photographies de Mario Giacomelli à Erwin Wurm, les livres « cuits » de Denise Aubertin, les cires de Guillaume Treppoz, une encre d’Henri Michaux, mais aussi une vidéo récente de Ger van Elk, une pièce mécanique du jeune artiste Nicolas Darrot, une sculpture de l’Anglais John Isaacs.
Tous les espaces suivants sont anonymes. Le nom de la pièce d’habitation reconstituée sert de nom propre aux «maisons». On circule autour de la Salle à manger où le design du XXe siècle, représenté par Charlotte Perriand, Martin Szekely, Marc Newson, les frères Bouroullec, rencontre la photographie contemporaine d’Hiroshi Sugimoto, Claude Lévêque, Steve McQueen ou encore Robin Collyer. Plus loin, dans le Salon meublé de fauteuils de Mies van der Rohe, d’une table basse de Gae Aulenti et d’une commode du XVIIIe siècle, on découvre une sculpture en albâtre d’Ettore Spalletti, des tableaux de Bernard Frize, Ange Leccia, Noël Dolla. Derrière la table du Bureau, où des écrans d’ordinateurs affichent les cours des marchés internationaux, trône une grande photographie monumentale de la bourse de Hong Kong par Andreas Gursky. Face à elle, des pièces de Damien Hirst, Bill Viola. L’Entrée est un hommage des propriétaires à quelques artistes italiens qu’ils soutiennent : Giulio Paolini, Michelangelo Pistoletto, Carla Accardi, Enrico Castellani, Maurizio Cattelan… Dans un angle, on découvre La Réserve d’un particulier au sein d’une société spécialisée dans le stockage des œuvres d’art. Beaucoup de collectionneurs ne pouvant accrocher chez eux la totalité de leurs œuvres, louent ces espaces où sont entreposés, en attente d’un prêt ou au retour d’une exposition, des ensembles hétéroclites, où les genres se mêlent sans autre motivation que des critères d’espace et de volumétrie. En transit, reléguées voire oubliées, toutes les œuvres de la réserve d’un collectionneur appartiennent cependant à sa collection.
La visite se poursuit à travers un couloir rythmé par des portes fermées. Derrière ces portes, des Toilettes réservent quelques surprises : vidéos, images érotiques, collection de reliquaires, un ensemble de photographies de Bernd et Hilla Becher…
Plus loin, on trouve une entrée avec sa cage d’Escalier dans laquelle trois très grands tableaux de Rebeyrolle côtoient de près les portraits réalisés par le peintre Maryan. Dans le Bain, une sculpture de Paul McCarthy, Cousin it, se reflète dans un miroir qui longe la baignoire. Dans une seconde Salle à manger, aux dimensions modestes, où chaque détail a été pesé (chaises de Robert Wilson, table de Richard Peduzzi, moquette d’Andrée Putman), des œuvres de Sigurdur Arni Sigurdsson, Didier Trenet et Erik Dietman partagent l’espace avec une collection très singulière de céramiques.
Pénétrer dans le Grenier aménagé en espace muséal sera une expérience rare, inoubliable. Il contient, en effet, plus de cent têtes soclées, reliques ethnologiques en provenance d’Afrique, d’Asie, d’Océanie et d’Amérique du Sud, mais aussi des objets cultuels et des momies… Le collectionneur (sensible également à l’art contemporain) a constitué cet espace muséographique au sommet de sa maison pour y recevoir exclusivement ces œuvres, très fortement « chargées ».
Dans la Chambre, le visiteur découvre l’ambiance unique qui règne chez ce collectionneur en pénétrant dans la pièce coupée en deux pour l’occasion ; la multitude d’œuvres et d’objets d’art primitif est éclairée par intermittence. Les productions de Gina Pane, Tetsumi Kudo, Adriana Varejao, Arnulf Rainer, Franz West ou Hermann Nitsch, entourent l’œuvre d’une jeune artiste américaine, Julia Scher : un lit en acier borné aux quatre coins de caméras de surveillance avec leurs moniteurs, braquées sur d’éventuels occupants.
Les dernières salles du sous-sol sont plus conceptuelles. La Liste est le résultat de la rencontre avec un collectionneur qui, tandis qu’il détient des œuvres majeures de la seconde moitié du XXe siècle (des pièces importantes de Marcel Broodthaers, les premières œuvres de Daniel Buren, celles d’artistes conceptuels américains…), a choisi de vivre dans une maison résolument vide. Il stocke ou dépose l’essentiel de sa collection dans de grands musées européens. Dans Le Regard, le travail d’accumulation mentale d’images de l’historien d’art Daniel Arasse est évoqué. Son rapport aux œuvres est incarné par la projection d’une série de diapositives, choisie parmi les milliers qu’il a prises et qui constituent sa collection de « détails de peinture », témoignage de son approche des tableaux et de l’histoire de l’art.
Enfin, juste avant de quitter l’exposition, une dernière vidéo intitulée L’Or du Rhin évoque la collection d’un jeune homme passionné, constituée par «emprunts» de quelques deux cents œuvres subtilisées dans divers musées d’Europe, et qui a fini engloutie dans un canal.
Commissaire
Gérard Wajcman