Par Emily King
En 2003, Lili Reynaud compilait sur un DVD-objet 372 recettes de cocktails tirées du livre de Charles Schumann, American Bar, the Artistry of Mixing Drinks (American Bar, 2003). On sait la diversité des noms de cocktails (comme des « noms d’oiseaux »), leur importance (ou pas) dans le choix que l’on fera au bar (contenant pour le contenu, « orgasme » ou « rêve d’un soir? ») et ce qu’ils portent en eux de mythologies et idéaux (ici «dark vador», là «cuba libre»)…
On sait aussi que, pour les férus des mélanges, le « cocktail est un art », ce qui n’empêche pas tout un chacun d’en réinventer la formule à la maison, voire de se l’offrir encapsulé en bouteille.
Peut-on voir derrière ces quelques remarques un mode d’entrée dans le travail de Lili Reynaud ? Un indice sur son goût de combiner le savoir-faire d’un artisan et les ingrédients formatés de la culture sérielle ?
« Eggnogs and Flips », titre de l’exposition présentée à Public, est le nom d’un cocktail à l’œuf britannique, dont le communiqué de presse précise que « la recette n’est plus connue que de rares barmen amateurs ». Un toast aux échappées anglo-saxonnes de Lili Reynaud, et à cette rencontre avec l’Écossaise Fiona Jardine ?
Pas seulement :
Le « Flip » est la « pichenette », le geste qui pousse le jaune dans l’alcool. Transposé à l’espace de la galerie, ce serait le choix de présenter les pièces en double, en symétrie miroir, de part et d’autre d’une diagonale imaginaire… Une figure conceptuelle et arbitraire qui souligne l’ambivalence des œuvres présentées : entre le savoir-faire artisanal, l’unique, et la production en série.
La démarche de Lili Reynaud aboutit souvent au renversement des perspectives d’appropriation des objets, d’un extérieur vers un intérieur, des parties pour un tout ou vice versa, sans les fixer tout à fait ni sur le bord du design ni celui de la sculpture.
Pour « Eggnogs and Flips », elle présente Carabo Carabo, deux sculptures inspirées du design d’une voiture de sport éponyme des années 70.
Reproduite à l’échelle 1, la voiture est ici en coupe, légèrement surélevée, s’apparentant plus à du mobilier d’intérieur légèrement daté qu’à un solide bolide. Pas de vernis rouge désir, mais de la peinture ocre et mate, sans compter que la Carabo est, si l’on peut dire, « castrée » de ses roues motrices.
Série dans la série, Carabo Carabo n’est pas la première sculpture de ce type réalisée par Lili Reynaud : il y avait en 2003 la Lancia Stratos Zero Prototype (beaucoup plus bleue métal). Ici, la voiture-sculpture s’accorde aux couleurs pastelles des rayures tennis du wall painting de Fiona Jardine, lesquelles encadrent des jambes au galbe standard (sexy mais standard) se dirigeant de façon déterminée hors du figuratif…
De Fiona Jardine on pourra voir aussi les collages qui par voie de photoshop et d’impressions sont devenus posters lisses (et les flacons Givenchy de prendre une pose plus personnelle mais néanmoins attractive).
De Lili Reynaud : les Objet d’Intérieur pour la Floride et Objet d’Intérieur pour l’Arizona, deux sphères en couches de contreplaqué, semblables mais différentes, home made oblige.
On remarquera l’élan orbital du titre : du proche au lointain pour revenir au proche, pour des pièces dont on ne sait si elles sont sculptures mini-monumentales ou dernier coup de foudre chez Conran.
— Fiona Jardine, Untitled, 2005. Peinture sur le mur.
— Fiona Jardine, Untitled, 2005. Impression numérique d’après collage. 50 x 70 cm.
— Fiona Jardine, Untitled, 2005. Impression numérique d’après un dessin. 84 x 118 cm.
— Lili Reynaud Dewar, Carabo, Carabo, 2005. Mousse polyuréthane, bois, résine, peinture. 420 x 60 cm.
— Lili Reynaud Dewar, Objet d’intérieur pour la Floride, 2004. Bois contreplaqué, vernis. 70 cm. diam.
— Lili Reynaud Dewar, Objet d’intérieur pour l’Arizona, 2005. Bois contreplaqué, vernis, plexis. 70 cm. diam.