La sobriété est tout d’abord ce qui frappe le regard au vu des pièces de Lili Dujourie. Installées au rez–de‐chaussée sur des tables et des étagères dépouillées, chaque sculpture faite d’argile noire, ocre, blanche ou brune, se caractérise par la déclinaison d’une même forme simple. Le résultat en est une imbrication de plusieurs formes quasi-similaires, dont l’aspect évoque des feuilles d’automne éparses.
A l’étage, trois oeuvres plus anciennes sont exposées. Cette fois‐ci en marbre, les pièces — à l’image des sculptures en argile — se présentent à nouveau comme la multiplication d’une même forme élémentaire. Des plaques de marbre sont superposées les unes sur les autres à même le sol, ou fixées à l’intersection du sol et du mur.
L’apparence minimaliste et répétitive de l’ensemble ne peut être considérée comme anodine. Bien au contraire, c’est à ce niveau qu’émerge l’une des questions au coeur du travail de Lili Dujourie, celle du déterminisme de la matière. L’idée que la matière, loin d’être dans l’attente passive d’une forme, possède en elle-même sa propre configuration, est ce qui ressort des sculptures de Lili Dujourie.
Le caractère sériel et minimal de l’oeuvre donne en effet à penser que l’artiste n’impose pas sa volonté au matériau, mais se laisse au contraire guider par lui. L’argile, manipulée en fonction de ses propres caractéristiques — une texture granuleuse et rugueuse — conduit à la réalisation de formes proches de tuiles, ou encore de feuilles. Le marbre, quant à lui traité selon la logique de ses rainures et de son poli, donne de simples plaques.
Ainsi, à rebours d’une matière assujettie au désir du créateur, l’apparence simple et répétitive de ces sculptures affirme la prééminence des matériaux sur l’auteure. En d’autres termes, à l’écoute de la matière Lili Dujourie extériorise les configurations qu’elle renferme. Alors que l’artiste qui crée une forme indépendamment du matériau utilisé fait preuve d’un rapport intellectuel aux choses et aux êtres, le créateur attentif à la matière témoigne d’une relation plus sensuelle à son environnement.
Avec des titres comme Les Initiales du silence et Epigramme, Lili Dujourie affirme la possibilité d’une telle relation. Car, rien n’échappe plus aux paroles, et donc à l’intellect, que d’indéchiffrables épigrammes, ou encore le silence, davantage du côté de la sensualité, de ce qui glisse entre les mots.
De même, en intitulant Dimanche après midi à Berlin ses marbres, l’artiste évoque l’atmosphère d’un dimanche, bien plus qu’elle ne présente ce qui pourrait en être le concept. Autrement dit, en manipulant la matière conformément à ses propriétés physiques, Dujourie fait de ses sculptures les témoins d’un rapport tactile au monde.
Lili Dujourie
— Les Initiales du silence 4, 2008. Métal et argile. 62,5 x 125 x 13 cm.
— Dimanche après midi à Berlin, 1993. Marbre. Trois éléments. 39,5 x 115 x 247 cm.