comblé le vide laissé sur l’Ile Seguin par le brusque abandon du projet conçu à la gloire et à la mesure d’un riche et certainement grand collectionneur.
Une réaction, et une posture différente, s’imposaient donc. C’est ainsi que le principe d’installer sur l’île un «Centre européen de création contemporaine» a été envisagé par le ministère de la Culture, le Conseil général des Hauts-de-Seine et la ville de Boulogne-Billancourt. Les orientations et la conception de ce centre viennent d’être confiées à une Association de préfiguration placée sous la houlette de Daniel Janicot, ancien président du Magasin de Grenoble.
La feuille de route de l’Association de préfiguration est manifestement habitée par un défi à relever et une impérieuse obligation de réussir. Comme s’il fallait montrer que l’échec du précédent projet avait, somme toute, été salutaire.
Alors qu’il s’agissait d’abandonner l’Ile Seguin à la gloire d’un grand collectionneur privé, d’ériger un monument à son action, à sa collection et à sa personne, il s’agit au contraire d’inventer désormais un dispositif largement ouvert sur les formes à venir de la création.
Au lieu de consacrer, fût-ce dans les formes architecturales et institutionnelles les plus contemporaines, le but est désormais d’inventer un dispositif original adapté aux besoins futurs, à peine exprimés, de la création. Au regard rétrospectif succède une vision prospective; l’autoglorification fait place à cette position paradoxale et stimulante d’avoir à inventer des façons d’aborder des situations virtuelles, non encore advenues…
N’aura donc pas lieu sur l’Ile Seguin le très hollywoodien spectacle hagiographique de la réussite entre grande fortune industrielle, riche collection d’art contemporain et somptueux bâtiment d’architecte de renommée internationale…
Le passif accumulé dans ce dossier, accrû par le déficit d’équipements d’envergure internationale en matière d’art contemporain en région parisienne, et par l’évolution rapide de la création artistique, ont conduit à cette conviction qu’il fallait dès lors tout faire différemment : à la rigide et grandiloquente verticalité d’un projet spectaculaire et personnel, substituer la dynamique horizontale, collective et collaborative d’un réseau européen ; concentrer l’attention vers la création elle-même, c’est-à -dire vers ce qui, dans la culture et l’art, est paradoxalement le plus fragile, le plus fécond, et le plus inaccessible aux mécanismes de soutien.
A l’inverse des grandes institutions qui font la part belle aux collectionneurs, critiques, commissaires, ou artistes célèbres, c’est-à -dire à l’aval de la création, il importe aujourd’hui de mettre l’accent (les efforts et les moyens) sur la création elle-même : la pointe vive de l’art, sa partie la plus rebelle et intempestive qui peut extraire de nouvelles visibilités des choses et du monde.
Il s’agira donc de favoriser la création adaptée à notre époque, de rompre avec cette situation archaï;que du créateur isolé et démuni devant son œuvre.
L’image romantique de l’artiste seul, pauvre et maudit est suffisamment obsolète, et surtout inopérante aujourd’hui, pour devoir être définitivement abandonnée au profit d’un modèle de création interdisciplinaire en réseau. L’artiste en réseau sera en situation de collaborer et d’échanger avec d’autres artistes autant qu’avec des scientifiques, des chercheurs, des ingénieurs présents sur l’Ile pendant certaines périodes, ou dispersés en Europe et dans le monde.
Dans cette hypothèse, le créateur ne sera pas enfermé dans un domaine — artistique, scientifique, théorique, littéraire, etc. —, encore moins dans une pratique ou un médium, assurément pas dans un regard personnel et singulier à affûter et diffuser. Ce ne sera plus un marginal, un asocial, comme cela est encore généralement le cas. Véritablement reconnu comme un acteur majeur de la société immatérielle de l’intelligence et du savoir qui est désormais la nôtre, le créateur disposera de tous les moyens nécessaires à son action.
On comprend l’ambition: inventer de nouvelles manières de créer, esquisser une nouvelle figure du créateur adaptée aux temps présents et futurs, et mettre en œuvre les conditions de son action.
Les acteurs ont changé, ce sont désormais la création, le créateur et le public. On passe d’une logique d’objet et de collection à une logique du faire, à un processus de création en phase avec les modes contemporains de production et d’échange. Le culte (spéculatif) des choses achevées s’estompe au profit de recherches de formes et de matériaux d’expression susceptibles de capter les forces du monde tel qu’il va.
Ce projet qui vient bousculer les habitudes, qui refuse les certitudes, qui assume sa part d’indétermination doit lui-même être créatif. C’est pourquoi l’Association de préfiguration a adopté une méthode de dialogues et d’échanges en réseau afin d’étendre ses sources d’information, de multiplier les avis, de varier les points d’observation, de confronter les intérêts, de rencontrer toutes les catégories d’acteurs. Sans exclusive, en ouvrant largement le champ des possibles…
Des réflexions, consultations et analyses des réalisations existantes sont d’ores et déjà engagées, et programmés des débats ouverts et contradictoires avec les spécialistes, avec les artistes et les créateurs, mais aussi avec les publics dans leur plus grande diversité.
L’enjeu étant que le Centre européen de création contemporaine soit, au-delà de la France et de l’Europe, un lieu d’art, de culture et de création à la mesure du XXIe siècle, à la hauteur des besoins nouveaux des artistes, des créateurs et des publics, et au diapason du monde.
André Rouillé.
Calendrier
1. Conception du projet : fin 2007-début 2008
2. Ouverture du chantier: 2009
3. Exploitation/programmation : 2011
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Wim Delvoye, Arielle, 2006. Courtesy galerie Emmanuel Perrotin, Paris
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