Dès l’entrée, on est attiré par le son de l’installation Ping-pong, tong et camping dont le centre est constitué par un film aux plans assez courts, capté à la main et monté bout à bout. Des enfants jouent avec des objets de plage colorés (sacs, maillots, balles, frisbee) et mangent dans de la vaisselle en plastique.
Ces objets très désignés dans le film sont également accrochés au mur de l’exposition et disposés autour de l’écran afin de lui servir de cadre, l’image étant projetée sur un matelas de plage. Le tout forme un étalage mural bien délimité duquel s’échappe des sons électroniques (à la Pierre Henry des années 50), des sifflotements et des gammes de pianos.
Un peu plus loin, deux cabanes. La première, Ma cabane de l’échec, est faite de parois constituées de rouleaux de pellicules du film d’Agnès Varda Les Créatures (1966). Ce qui fut alors un échec commercial sert ici de matériau de construction, renvoyant le film à son lieu de tournage, Noirmoutier, et à ses nombreuses cabanes, modestes et fragiles abris bien éloignés des personnages et des décors du film.
L’autre cabane (La Cabane aux portraits) est plus intéressante. Elle présente sur un mur face à face des portraits d’hommes et de femmes, tous habitants l’île de Normoutier. Chaque visage a été cadré de la même façon, en intégrant entre le personnage et le décor une même image carrée. Présentées bord à bord, ces photographies forment un paysage rythmé qui fait ressortir les couleurs et les motifs des lieux (façades, pierres, volets, cordages, etc.) tout en soulignant les variations anthropologiques des visages.
Au sous-sol, des oeuvres plus graves se succèdent dans un parcours tracé par l’installation-couloir Le Passage de Gois. Des vues panoramiques du bord de mer conduisent à un tas de sel accompagné d’une citation de la Bible.
D’un coté, une vidéo projette sur du sable le tombeau du chat d’Agnès Varda, mort récemment. De l‘autre coté, une carte postale géante représentant une Aphrodite des années 50 (nue, de dos) sert à cacher par zones des d’écrans qui, lorsque l’on appuie sur un bouton, apparaissent et diffusent de courts films de 40 secondes.
Derrière la main de l’Aphrodite, un film montre la main de Jacques Demy qui laisse glisser du sable entre ses doigts. Derrière une mouette volant dans le ciel de la carte postale, un film montre les dégâts d’une marée noire. Derrière les fesses de la naïade, on accède à un petit film pastiche de Zéro de conduite où des gamins d’un autre temps jouent avec le caca et matent les fesses d’une dame sous la douche.
Les deux dernières installations vidéos sont multi-écrans et de tonalité beaucoup plus sombre. Un triptyque vidéo met en relation une cuisine centrale où sont assis trois personnages, un couple et une grand-mère, silencieux mais affairés chacun à leur tâche. A gauche, un bord de mer et à droite une chambre où trône une belle armoire de vaisselle traditionnelle. On accède à un mode de vie ancestral et stéréotypé tournant en boucle sur lui-même.
La dernière installation est composée de treize écrans vidéos disposés en prédelle autour d’une image centrale symbolique: des veuves marchant autour d’une table posée sur la plage. Cet hommage aux gens et aux drames de la mer évoque, par le sujet et le traitement, les fresques républicaines de Puvis de Chavannes. Sur la mort des hommes en mer et des femmes restées à terre, Agnès Varda construit un polyptyque d’interviews de femmes entrecoupées de vues de leur demeure ou de paysages alentour. De façon touchante Agnès Varda s’est incluse dans le film: elle ne parle pas, se laisse filmer et montre à nouveau des images de son «Jacquot». Agnès-la-veuve, voilà une image d’elle poignante et surprenante.
Agnès Varda n’a peur de rien, elle ose librement passer du monumental, au gag ou à la trouvaille astucieuse. Ses dispositifs sont assez démonstratifs, très scénarisés, et d’une esthétique proche de l’art des années 60 (Nouveau réalisme, Arte Povera) ou des premières installations vidéo des années 70.
Sans prétention artistique, elle crée un lien entre un monde du cinéma peu ouvert à l’art de son temps, et le monde de l’art contemporain de plus en plus fasciné par le cinéma. Plutôt seule dans cet entre-deux (avec Chantal Akerman ou Jean-Luc Godard exposé en ce moment même à Beaubourg), elle évoque néanmoins Raymond Hains qui est de sa génération (elle née en 1928 et lui en 1926).
Agnès Varda est restée dans une conception très années 50 de la création, très «artiste» ou «auteur», entre le folklore populaire et la bourgeoisie cultivée. Tandis que Raymond Hains aura fait preuve, avec finesse, d’une grande agilité à circuler entre les hétérogénéités culturelles et esthétiques.
 Agnès Varda
— Ping-pong, tong et camping, 2005-2006. Film vidéo de 6 mn projeté en boucle, diaporama rond de 4 mn en boucle, objets de plages, sacs plastiques.
— La Cabane aux portraits, 2006. 2 vidéos en boucle, 60 photographies, 4 ampoules, bois.
— Ma cabane de l’échec, 2006. acier, pellicule 35 mm.
— Le Passage de Gois, 2006. Film vidéo de 6 mn projeté en boucle, lamelles PVC, barrière électrique, bois, liège, gros sel, texte, photographies.
— Le Tombeau de Zgougou, 2006. Film vidéo de 6 mn projeté en boucle sur sable au sol.
— La Grande carte postale ou Souvenir de Noirmoutier, 2006. Panneau, 4 vidéos en boucle (40 sec.), mécanisme, photographie, tableau de bord.
— Le Tryptique de Noirmoutier, 2004-2006. 3 films 35 mm sur DVD synchronisés (9 mn 30), mécanisme et détecteur de mouvement.
— La Mer immense, 2003. Tirage numérique.
— Les Veuves de Noirmoutier, 2004-2005. Film 35 mm sur DVD projeté (9mn30) en boucle et 14 films vidéos (3 mn 30) sur moniteurs, panneau de 3 m x 4 m, 14 chaises et 14 casques audio.
— Cinq photographies de veuves, 2005. Cinq tirages numériques.