Véra Molnar
Lignes ou meule?
La meule revient comme un motif obsédant dans les oeuvres de Véra Molnar, exposées sous le titre «Lignes ou meule?» à la galerie Oniris. En quoi cet élément particulier, propre à la nature mais mis en forme par l’homme, peut-il susciter plusieurs décennies de recherche et de création ?
Les carnets Vera Molnar conservent le souvenir précis de cet été 1977 où, à Tihany, au bord du lac Balaton en Hongrie, elle observe la forme minimale d’une meule, un demi-cercle presque parfait, qu’elle dessine rempli de segments désordonnés. Entre la meule et le fond, il n’y a qu’une certaine différence de désordre et de densité. D’emblée le motif suggère à l’artiste ses immenses possibilités. Elle l’étudie et le travaille sur plusieurs décennies avant d’y ajouter des variations de couleur, qui produisent immanquablement des effets atmosphériques et font penser à la série de Monet.
En noir sur une toile blanche, trois zones remplies par les mêmes petits traits, dont seules les inclinaisons varient, composent le sol, la meule et le fond. Le passage d’une zone à l’autre est imperceptible si l’on regarde de trop près, il s’affirme avec le recul. Les innombrables petits segments, qui sont la forme la plus abstraite, la plus minimale, la plus inexpressive que l’on puisse imaginer, apparaissent aussitôt comme autant de fétus de paille joyeusement entremêlés. Ce tableau intitulé Meule, en hommage à Monet retrouve paradoxalement un principe essentiel de l’impressionnisme alors qu’il n’utilise que le trait, et aucune couleur.
Dans «Lignes ou meule ?», tantôt les formes sont simplifiées à outrance, le motif de la meule au milieu de son champ se réduisant à trois rectangles superposés, tantôt les couleurs sont réintroduites mais aléatoirement réparties et sans rapport avec le sujet. L’épaisseur du fétu peut aussi être augmentée et le corps de la meule se détache alors d’un fond plus diaphane, créant un effet de perspective atmosphérique. L’œuvre évoque souvent, par ses couleurs, une heure du jour ou de la nuit, rappelant ainsi cette invention impressionniste de la luminosité intense de l’ombre.
La danse infernale des fétus inclinés dans tous les sens porte des interrogations sans fin sur notre rapport au monde visible. Leur caractère élémentaire accroît la fascination qu’ils exercent, et l’on se laisse volontiers persuader avec leur créatrice que l’univers n’est que désordre et légèreté.