Présentation
Valérie Du Chéné
Lieux Dits
Extrait (p.169-170)
L’absolue liberté de l’artiste, œuvrant dans son atelier sans autre contrainte que la «nécessité intérieure» (l’expression est de Kandinsky), est une idée somme toute assez récente, même si elle était en germe dans les protestations d’indépendance vis-à -vis des puissants qu’osaient parfois les artistes de la Renaissance.
C’est la figure romantique de l’artiste solitaire, au XIXe siècle, relayée au XXe siècle par l’idéologie des avant-gardes — c’est-à -dire par la conviction que l’artiste précurseur a pour tâche d’ouvrir la voie à l’humanité toute entière en question — qui conditionne aujourd’hui encore la perception ordinaire que nous avons du statut des artistes.
Nous avons peine à nous représenter que les chefs-d’œuvre du Quattrocento ont été créés dans le cadre extrêmement rigide de commandes, qui établissaient, en plus d’un programme iconographique précis, jusqu’à la nature des pigments que devaient employer les peintres, et la proportion de la fresque ou du tableau qu’ils avaient loisir de déléguer ou non à des assistants…
La liberté totale est certainement enviable lorsqu’on l’a chèrement conquise et ardemment désirée.
Il n’est pas impossible en revanche qu’elle devienne, paradoxalement, un fardeau, quand on la reçoit en cadeau — ce qui est le cas de tous les artistes depuis un demi-siècle, pour qui elle est une sorte de second état de nature.
A l’intérieur de l’atelier contemporain, nulle contrainte imposée par le monde environnant, autre que celle de produire, au rythme que l’on voudra, des objets ou des projets, en espérant qu’ils trouveront preneur, ou au moins qu’ils auront la chance d’être vus.
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