Thomas Lebrun présente sa dernière création, Lied Ballet : «Utilisant les textes des lieder comme livret et comme source première de l’écriture chorégraphique, cette création pose ses empreintes sur les courants du passé, flirtant avec la composition narrative ou formelle du ballet, se glissant dans les mélodieuses thématiques chères au romantisme… La mort, l’amour, la nature, l’errance, la solitude, sont autant de points communs entre ces deux formes qui ont toutefois connu un parcours inversé: chants populaires devenus savants ou spectacles adressés à la bourgeoisie se retrouvant aujourd’hui dans les Zéniths tout en étant boudés par les arts « innovants », le lied et le ballet questionnent par leurs évolutions distinctes la place du social et de la tolérance dans le milieu culturel.
Avec et à travers eux, je souhaite interroger “l’espace libre“ possible pour la création contemporaine, convoquant ici les notions de patrimoine et de transmission, dans un climat artistique fragile où le spectacle vivant se voit souvent taché d’éclaboussures commerciales ou d’inaccessibilité volontaire.
Un premier acte, axé sur la force du geste simple, guidé par les vers et les rêves, rythmé par les photos post-mortem de l’époque victorienne, croise enfants disparus ou douce jeune fille pâle, bourgeoise esseulée au bord de la folie, poète maudit se courbant sous le poids du monde… Porté par les cordes insistantes de Chukrum, une pièce pour orchestre à cordes de Giacinto Scelsi, cet acte enracine une pantomime picturale et épurée, bousculée par le bouillonnement intérieur de l’interprète.
Un deuxième acte, sur des lieder de Berg, Mahler et Schönberg chantés par le ténor Benjamin Alunni accompagné par le pianiste Thomas Besnard, offre aux huit danseurs des partitions chorégraphiques précises et enlevées traçant les espaces, qui donnent échos aux variations, pas de deux ou de trois… que l’on connaît dans le ballet. Avec un rapport à la musique minutieux, cet acte questionne également l’idée d’une virtuosité d’aujourd’hui, qui n’est peut-être pas celle que l’on attend. La place est alors donnée aux qualités et aux singularités des danseurs, à l’interprète, ce qui est pour moi primordial… mais également à la poésie, au lyrisme et au plaisir de la danse. Un acte de résistance enchanté?
Un troisième acte chorus, écrit sur une composition musicale de David François Moreau, dilue et recentre la question sociale, accélère le rythme, piège l’individu dans une boucle infinie, sur les pas des anciens, des inconnus, des disparus, des effacés… Il est toutefois porté par les nôtres, au moment même de l’action, dans une écriture sans échappatoire. Quand la même danse surgit différemment dans le même corps ou dans d’autres corps. Un acte de résistance et de références assumées. La danse d’aujourd’hui n’est pas née de la dernière pluie. Celle de demain le sait déjà . »