Pindorama est la troisième pièce d’un triptyque chorégraphique de Lia Rodrigues. Pororoca et Piracema avaient ouvert la voie à ce dernier opus pour onze danseurs. Artiste brésilienne, Lia Rodrigues est allée puiser dans la langue tupi pour nommer ces trois spectacles de danse contemporaine. La ‘Pororoca’ [‘grand rugissement’] désigne une soudaine élévation du niveau de l’eau. Une vague pouvant atteindre quatre mètres de haut, déferlant dans l’embouchure où se rejoignent l’Amazone et l’Atlantique. ‘Piracema’ désigne la période de frai des poissons dans la rivière Paraguay. Et ‘Pindorama’, ‘pays des palmiers’, était le nom du Brésil avant la colonisation portugaise. Si l’élément aquatique semble s’être retiré du dernier titre, c’est pour mieux déferler sur scène. Dans de larges bâches transparentes, comme des vagues, les danseurs évoluent et luttent. Nus et se débattant, ils affrontent tempêtes, pluies diluviennes, vagues rugissantes. Et lorsque l’aridité frappe, ils s’aspergent avec des bouteilles d’eau.
Pindorama de Lia Rodrigues : la dynamique des fluides fait valser les corps
De la sécheresse à l’inondation, Pindorama de Lia Rodrigues offre une ode à l’écologie. Terre de contrastes en matière de flux (économiques comme hydrauliques), le Pindorama-Brésil tangue entre les extrêmes. Avec d’un côté les mannes financières se déversant à flots pour la coupe du monde de football. Et de l’autre les récessions économiques asséchant les favelas. Y compris celle dans laquelle Lia Rodrigues développe un travail collectif, la favela de Maré. Ici, la dynamique des fluides est celle de la démesure. Et les onze danseurs, dans leur nudité, affrontent les aléas par leur corps tout entier. Quant aux spectateurs, ils sont debout, à côté des danseurs-performeurs. Certes les performeurs sont dénudés et les spectateurs habillés, certes les uns agissent tandis que les autres contemplent, mais pour autant, les éclaboussures sont possibles. Et les luttes des danseurs ne sont pas si éloignées de celles des spectateurs.
Espace brut, corps nus et bâches houleuses : onze danseurs brassés par le collectif
Pindorama se déroule dans un espace brut, presque en chantier, sur une scène sans gradin (la Salle Firmin Gémier mise à nue, pour Chaillot). La question du collectif hante la pièce, lorsque les mouvements des bâches sont impulsés par le groupe. Flot déchainé, la bâche devient le vecteur d’une émotion collective capable de déplacer. Le dépouillement apparent de Pindorama, c’est aussi l’illusion du vide rencontrée par les premiers Portugais. Croyant arriver en terre non peuplée, ils oublièrent de tenir compte des dynamiques entretenues par les quelques cinq millions d’habitants. Dans cet espace chorégraphique de Lia Rodrigues, les membranes plastiques transparentes, par leurs mouvements furieux, mettent au jour la force des liens. Toute la puissance de déplacement qui précipite les corps les uns contre les autres. Et entre calme et fracas, dans l’alternance érosive des brusques variations, Pindorama charrie l’énergie d’un fleuve qui percute l’océan.