David Raymond Conroy
L’homme qui voulait savoir
Dans L’homme qui voulait savoir, film néerlandais réalisé par George Sluizer en 1988 qui donne son titre à l’exposition, Saskia, la petite amie de Rex, disparaît sur une aire d’autoroute alors que le couple part en vacances.
«L’homme qui voulait savoir», c’est Rex, qui va passer les trois années suivantes à tenter de savoir ce qui est arrivé à Saskia. Plutôt qu’une enquête policière, le film se révèle être une réflexion sur le caractère destructif du besoin de savoir à tout prix. Au moment où Rex sait, il disparaît à son tour. Le spectateur, qui s’identifie à Rex tout au long du film, est privé du sentiment de résolution qui accompagne traditionnellement la fin d’une enquête. Suivant cette dynamique de l’intrigue cinématographique, l’exposition de David Raymond Conroy construit un espace où les trois acteurs de l’expérience esthétique (l’artiste, l’œuvre d’art et le spectateur) se cherchent les uns les autres et interrogent leurs propres positions.
L’affiche de la version française du film L’homme qui voulait savoir est présente dans l’exposition, comme s’il apparaissait nécessaire de justifier l’emprunt d’un titre par la présence d’un objet, même si celui-ci n’apporte pas d’information supplémentaire. L’artiste disparaît derrière cet effet miroir. Jonathan Richman, ancien leader des Modern Lovers, apparaît dans divers extraits vidéo d’interviews. Ce personnage emblématique s’exprime de façon directe et spontanée avec une telle naïveté que l’on peut se demander s’il ne s’agit pas d’une mise en scène. David Raymond Conroy explore de la même façon les possibilités d’un discours personnel et sincère dans la vidéo Hauling/It is not the past, but the future, that determines the present où il parle à la première personne. L’artiste semble hésiter entre disparition du geste artistique et expression d’un point de vue subjectif.
Deux installations interrogent encore ce processus d’oscillation entre une chose et une autre. La première est un ensemble de meubles savamment empilés les uns sur les autres, au sommet desquels se trouve une vidéo faisant défiler des images d’amoncellements similaires rencontrés dans la rue ou sur les marchés. Lorsque la vidéo est en marche, la construction fait figure de socle, le regard se concentre sur les images qui défilent. Lorsque la vidéo s’éteint, le contexte de la galerie se fait plus présent, et l’assemblage devient sculpture.
La seconde installation est composée de trois murs mobiles de théâtre qui empêchent d’accéder directement à l’autre salle de la galerie. Le visiteur ne comprend peut-être pas tout de suite qu’il s’agit d’une proposition artistique. Ce n’est qu’en pénétrant dans le second espace qu’il découvre leur envers, entièrement tapissé d’un tissu africain. Cet imprimé au dos des cloisons mobiles révèle l’œuvre en tant que telle. Il peut s’agir tout autant d’une œuvre faisant semblant d’être un mur ou d’une œuvre prétendant ne pas être une œuvre.
En citant Jeff Wallde mémoire, David Raymond Conroy précise que «l’œuvre n’est pas une mer de signification dans laquelle le regardeur peut pécher au hasard» (L’artiste cite de mémoire). Il dissémine dans l’espace des éléments qui, sur le mode de l’enquête, nous permettent d’expliquer la provenance ou la constitution de certains processus (l’affiche renseigne le titre, une vidéo documente les sources d’inspiration de la sculpture sur laquelle elle se trouve, l’envers informe l’endroit). Ces faits et la distance avec laquelle on les interprète éclairent l’écart qui existe entre «savoir» et «comprendre».