de penser, d’agir et de ressentir, sont désormais en dessous du seuil d’efficacité.
Il faudra beaucoup de temps et d’efforts pour regagner (peut-être) le terrain perdu par la France sur la scène internationale.
Faut-il souligner que les grands décideurs économiques, culturels et politiques (on les appelle parfois les «élites») portent une responsabilité immense dans cette situation.
En outre, la combinaison des processus de la construction européenne, de la régionalisation et de la réduction des dépenses de l’État rend désormais plus qu’illusoire d’attendre des soutiens de la part du secteur public, alors même que la France souffre d’un déficit endémique d’engagement du secteur privé dans les grands domaines de la science, de l’art, de la culture.
Alors que faire ? Tout simplement agir!
Il faut évidemment continuer à souligner, chaque fois que nécessaire, les difficultés dans lesquelles se débattent, en France, l’art et la grande majorité des artistes contemporains, la diffusion et la pratique artistiques. Mais les propos les plus aiguisés, les analyses les plus vives, ont montré leurs limites face à un véritable mur d’indifférence, à une franche hostilité, voire même au poujadisme le plus éhonté — on se rappelle le triste et ravageur «L’art contemporain, c’est nul» de Jean Baudrillard et de ses acolytes finalement rassemblés dans une revue d’extrême droite…
Il faut évidemment continuer à demander que les responsables fassent tout simplement leur devoir, qui consiste rien moins qu’à maintenir la France de la culture et de l’art au rang qui a longtemps été le sien…
En tous cas, la situation est tellement dégradée, l’autisme (ou le cynisme) des pouvoirs est tellement profond, qu’il est devenu vain de seulement dénoncer. Les mots sont devenus impuissants, presque inaudibles. Quant à revendiquer, cela suppose de trouver des interlocuteurs dotés d’un minimum de crédit, ainsi que d’une volonté et d’une capacité à répondre aux demandes, au moins à déjà les comprendre.
Mais comment peut-on agir pour sauver l’art? Comment créer les conditions d’un élan vital en faveur de l’art contemporain ?
Les méthodes classiques ne sont guère appropriées. Si, à l’exemple des chercheurs, les artistes et tous les acteurs de l’art contemporain signaient une pétition, ce serait moins pour soutenir des revendications précises, que pour exprimer une volonté, pour initier un mouvement.
D’autres modes d’action sont toutefois en train d’émerger. Des listes «Culture» sont par exemple en préparation dans plusieurs régions en vue des prochaines élections.
Pourquoi ne pas rédiger un livre blanc de l’art contemporain ?
Un mouvement de type «alterArtistique» ou «alterCulturel» peut-il voir le jour ? et sous quelle forme ?
Il est évidemment impossible de le dire.
Tout est à inventer, à créer, pour briser l’atomisation, pour dépasser l’isolement dans lequel travaillent les artistes, pour résister à la précarisation accélérée de leur condition, pour dépasser leurs réflexes individualistes, la conviction de beaucoup d’entre eux qu’ils pourront toujours s’en sortir seuls.
Mais aussi cela : comment, indissociablement, résister artistiquement ?
La torpeur est aujourd’hui si grande, le sentiment d’impuissance est si fort, les refus accumulés pèsent si lourds dans les esprits et les corps, l’horizon paraît si bouché, que de nouveaux possibles deviennent presque impensables.
L’art contemporain vit aujourd’hui sous le règne de l’impossible. Et c’est précisément pourquoi il se meurt, parce que les circonstances contraires sont (nécessairement) plus fortes que le talent et l’énergie individuels des artistes.
Avant de reprendre confiance en l’avenir, et à nouveau désirer, il faudra sans doute beaucoup débattre, imaginer, oser, échanger pour éradiquer le «virus de l’impossible» qui ronge les esprits, qui paralyse les initiatives, qui abolit les désirs. Qui bloque la création.
Plusieurs décennies de restrictions budgétaires, de malthusianisme social, de retour à l’ordre, de répression et de continence (y compris sexuelle sous la menace du sida), et d’infantilisation (ah ! le spectacle médiatique de la marchandise et de l’information) ont profondément marqué les pensées, les sensations et les œuvres. Après cela, s’il devait y avoir un après, pourra-t-on à nouveau s’autoriser à créer et désirer sans mesure. A accepter le sentiment que du possible est de nouveau possible.
C’est peut-être de cela dont souffre l’art contemporain en France : de mesure, d’encadrement des désirs, de limites (budgétaires, administratives, etc.), d’un déficit de considération, de passion et d’amour. Les footballeurs sont les dieux des stades, les artistes passent pour les bouffons de la république.
C’est cet état de choses qu’il faudra surmonter pour redémarrer. Par des rencontres, des échanges, des contacts, etc. Par de larges et fructueux débats sur la situation et les conditions de l’art au début du XXIe siècle. Tâche immense et nécessaire…
André Rouillé.
paris-art.com met ses forums à la disposition de chacun(e). En particulier:
— «La vie d’artiste» : de la Bohème est né au XIXe siècle l’idée que la galère était presque constitutive de l’innovation artistique. Quelles sont les formes de la galère des artiste au début du XXIe siècle?
— «Ce qui se passe» : les nouveaux chemins du faire artistique, les nouveaux paradigmes de la création, les nouveaux lieux, les nouveaux acteurs de l’art contemporain…
— «Ce qui ne se passe pas» : chronique des projets refusés, des initiatives arrêtées, de l’autisme des partenaires.
Et aujourd’hui un nouveau forum est ouvert : «Agir ! pour sauver l’art».
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Ulrich Polster, La Vie, 2003. Installation vidéo. 5:19 min. Courtesy galerie Jocelyn Wolff.