La foire « s’est révélée franchement meilleure que la meilleure des biennales » (Javier Peres, Los Angeles).
Un renversement semble ainsi s’opérer : la foire, structure commerciale, tend à dépasser la biennale sur son propre terrain, celui de l’art pour l’art, supposé étranger à toute préoccupation marchande directe. Sous la pression de la concurrence internationale, le marché est devenu facteur d’excellence artistique, tandis qu’un déclin continu des grandes politiques culturelles nationales a affecté directement l’une des plus prestigieuses manifestations internationales consacrée à l’art contemporain. Depuis une dizaine d’années, l’essor des foires a bouleversé les frontières entre l’art, la culture et le commerce.
On reproche à la Fiac de n’être pas assez attractive en termes d’infrastructures d’accueil et d’exposition, en terme de rayonnement international, mais aussi en terme d’orientation artistique et de projet culturel. Au-delà des arrière-pensées et des compétitions hexagonales qui expliquent assurément la vigueur de certains propos, et au-delà du bien-fondé de nombre de critiques, les polémiques font apparaître qu’en période de mondialisation accélérée, c’est-à -dire de compétition internationale accrue, le commerce de l’art requiert une alliance nouvelle et forte entre les dimensions artistiques et extra-artistiques. Tout contribue à assurer le rayonnement d’une grande manifestation : sa qualité et ses orientations artistiques évidemment, mais aussi sa logistique, son audience internationale, ou ses en-dehors extra-artistiques, y compris mondains.
Car une foire internationale d’art n’est que secondairement destinée au public, fût-il averti et passionné. Art Basel, la plus prestigieuse, n’est assurément pas la plus fréquentée, mais peut-être la mieux fréquentée : par les plus grands collectionneurs.
Dans sa forme actuelle, la foire est en fait une machine commerciale conçue par des marchands d’art pour faire des affaires avec des collectionneurs internationaux. Elle tente de répondre à un double défi : celui de la mondialisation de l’économie, de l’art, et du marché de l’art ; et celui de la concurrence, croissante depuis une dizaine d’années, que les grandes salles internationales de ventes publiques font aux galeries.
L’art-marchandise ne peut guère échapper aux lois du marketing, notamment à celle qui veut que le produit proprement dit ne compte pas vraiment plus que ses alentours. Ce qui suppose la mise en œuvre de structures, d’outils et de méthodes assez distinctes de celles qui prévalent dans le monde traditionnel de l’art. Autant le savoir : l’assumer et s’en donner les moyens, ou le refuser totalement. En paraphrasant Jean-Luc Godard, on pourrait dire qu’à l’époque de la mondialisation, «le marché, c’est la règle ; l’art, c’est l’exception».
André Rouillé
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Cécile Bart, En deux temps trois, 2003. Peinture glycéro, tergal plein jour, châssis aluminium. Dimensions variables. Photo : Marc Domage ; Courtesy Galerie Frank et Le Plateau.