ART | EXPO

Lettres de Panduranga

20 Oct - 24 Jan 2016
Vernissage le 20 Oct 2015

La cinéaste et plasticienne vietnamienne Nguyen Trinh Thi questionne la mémoire, déconstruisant poétiquement les idées centrales du pouvoir et de l’idéologie du Vietnam. Avec Lettres de Panduranga, elle prolonge ses expérimentations à la frontière du documentaire et de la fiction dans un essai filmique réalisé avec des villageois de l’ethnie cham.

Nguyen Trinh Thi
Lettres de Panduranga. Programmation Satellite 8

Cinéaste et plasticienne née en 1973 à Hanoï, Nguyen Trinh Thi a étudié le journalisme et la photographie à l’Université d’Iowa ainsi que les relations internationales et le cinéma ethnographique à l’Université de Californie à San Diego. Ses films documentaires et expérimentaux sont présentés au Vietnam et à l’étranger dans de nombreux festivals et expositions. Elle fonde en 2009 le Hanoï DocLab, centre dédié au film documentaire et à l’art vidéo à Hanoï, dont elle continue de diriger les activités et où elle enseigne.

Choisie pour son approche à la fois multiple, très personnelle et poétique d’événements sujets à controverse, historiques ou actuels, qu’elle aborde par les moyens du cinéma expérimental et de la vidéo, Nguyen Trinh Thi est la quatrième et dernière artiste présentée à l’occasion de la programmation Satellite 8, «Rallier le flot». Elle s’est fait connaître par deux installations vidéo au format exceptionnel, Unsubtitled (2010) et Landscape Series #1 (2013), qui articulent avec pertinence la problématique de la censure sous les points de vue de la collectivité, du journaliste et de l’artiste.

Avec Lettres de Panduranga (2015), commandée dans le cadre de la programmation Satellite 8, Nguyen Trinh Thi prolonge ses expérimentations à la frontière du documentaire et de la fiction dans un essai filmique réalisé avec des villageois de l’ethnie cham vivant dans le dernier et plus méridional territoire de l’ancien royaume de Champa. Celui-ci, fondé voici près de deux mille ans, a été annexé en 1832 par le royaume du Dai Viêt (l’actuel Vietnam). La province de Ninh Thuân, qui portait autrefois le nom de Panduranga, est le centre spirituel de l’antique culture matriarcale cham.

Lettres de Panduranga trouve sa source d’inspiration dans le projet du gouvernement vietnamien de construire d’ici 2020, dans la province de Ninh Thuân, les deux premières centrales nucléaires du pays. Le débat public relatif à ce programme a été quasi inexistant au Vietnam: l’Etat exerce en effet un contrôle strict sur les activités des médias ainsi que sur les possibilités d’expression de l’opinion publique et a exclu des consultations les collectivités locales concernées.

De 2013 à 2015, s’appuyant sur un réseau d’intellectuels cham, Nguyen Trinh Thi a séjourné à plusieurs reprises dans la province de Ninh Thuân. A chacune de ses visites, elle a été confrontée aux problématiques de l’accessibilité, de la représentation et de la documentation — ainsi qu’à celle de la prise de parole au nom d’autrui.

Si Lettres de Panduranga est tout d’abord conçu comme un portrait des Cham du Vietnam confrontés à des circonstances qui menacent leur existence même, l’œuvre a également évolué, par voie de conséquence, en un portrait de l’artiste en vidéaste. «En tant qu’artistes, explique-t-elle, nous sommes animés par deux désirs contradictoires: celui de nous engager, mais aussi celui de disparaître.» Tandis que nous découvrons les portraits individuels et de groupes filmés au plus près, les magnifiques paysages maritimes et terrestres de la région, des espaces et des rituels sacrés ou profanes soigneusement cadrés, un homme et une femme anonymes lisent en voix off les lettres qu’ils se sont adressées l’un à l’autre.

Confrontés tous deux à une incertitude multiforme, ils articulent un questionnement critique à propos de ce qui nous est donné à voir: le travail de terrain, l’ethnographie, l’accès à l’histoire, la perpétuation des colonialismes — de l’invasion du Vietnam par les Français à l’invasion du pays des Cham par les Vietnamiens. D’autres évocations se font jour au fil de l’œuvre: les bombardements américains, les objets issus des expositions coloniales et des collections d’art, la vulgarité des lieux touristiques et des politiques culturelles de l’Unesco, mais aussi des citations rendant hommage aux deux influences principales de Nguyen Trinh Thi, à savoir Lettre de Sibérie, de Chris Marker (1957), et Les Statues meurent aussi, de Chris Marker et Alain Resnais (1953), deux films documentaires novateurs qui expriment une critique incisive des conséquences de l’industrialisation et du colonialisme.

Lettres de Panduranga s’achève sur une forme visuelle et narrative qui semble à juste titre indéterminée. La voix de Nguyen Trinh Thi fait entendre en guise de conclusion le dernier vers d’une épopée du poète cham Tra Vigia, intitulée Nuits indistinctes: «Il se pourrait que j’aie rêvé dans un poème qui touche à sa fin.»

Nguyen Trinh Thi est née en 1973 à Hanoï. Elle vit et travaille à Hanoï.
La pratique de l’artiste, cinéaste et documentariste, l’amène aussi bien à exhumer des archives anonymes qu’à travailler au plus près de la population. Dans un contexte de surveillance et de censure généralisées, elle questionne la mémoire, déconstruisant poétiquement les idées centrales du pouvoir et de l’idéologie dans le Vietnam du passé et du présent.

Vernissage
Mardi 20 octobre 2015

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