ART | CRITIQUE

Les trésors de guerre sont-ils sacrés ?

PAurélie Romanacce
@31 Mar 2008

Les «Trésors de guerre» de Sarkis sont des objets d’art populaire qu’il a rassemblés et qu’il réactualise dans une mise en scène de son atelier à la galerie Jean Brolly. En mêlant techniques contemporaines et objets du passé Sarkis crée des connexions inattendues et esquisse une histoire de l’art en perpétuel mouvement.

Une corde rouge délimite l’espace de la galerie et agit comme un avertissement. Sarkis nous met en garde contre la sacralisation mortifère des objets d’art par les musées. Ses «Trésors de guerre», il les panse comme un guérisseur en en faisant le matériau de son propre travail.

Dans la galerie Jean Brolly, Sarkis a mis en scène son atelier de Villejuif en présentant des objets disparates d’Inde, d’Afrique, de Chine ou de Turquie qu’il a acquis au fil du temps, et qui sont d’ordinaire voués à être exposés comme les vestiges d’anciennes civilisations.
La démarche de Sarkis consiste à choisir ces objets puis à les réinterpréter et les renommer.

Il intervient directement sur cet autel en pierre du Rajastan qu’il remplit d’aquarelle pure. Posée horizontalement sur un socle, l’œuvre n’est plus figée dans une verticalité hiératique, elle bénéficie d’une proximité nouvelle qui incite presque à la toucher. L’artiste s’insurge contre toute déférence et s’approprie des œuvres du passé pour les inscrire dans l’avenir.

Double masque (Janus) se compose d’un masque en champignon du Tibet présentant sur son envers un autre masque en pâte à modeler fluorescente réalisé par Sarkis. Symbole d’une histoire jamais inachevée, l’œuvre tourne sur elle-même et découvrant au spectateur les visages inséparables du passé et du présent.

A partir de la nuit et A partir de jaune cadmium désignent deux autels en pierre du Rajastan du XVIIIe siècle dans lesquels l’artiste a déposé de l’aquarelle pure. La couleur est donnée en offrande comme un onguent régénérant infini qui ne s’épuisera jamais. Devant chacune des pierres, un sucrier en porcelaine retient une infime quantité de peinture. La tension entre la pierre et la peinture fait dès lors exister l’œuvre dans une nouvelle dimension.

Vaste cheveux lumière associe une veste en cheveux humains du Burkina Faso à des néons de couleurs. Avec la confrontation des techniques anachroniques Sarkis met l’accent sur le processus de la réalisation des œuvres et sur leur inachèvement.

Sarkis travaille sur le temps parce que, dit-il, «ma mémoire est ma patrie». Son atelier reconstitué dans la galerie retrace une histoire au moyen des œuvres qui sont disposées sur des socles comme sur des autels.
Cette exposition modulatoire propose un échange perpétuel entre le spectateur et l’art dans sa transmission et son interprétation.

A la fois autonomes et en devenir, les œuvres de Sarkis sont pensées en fonction du lieu d’exposition, et font de chaque mise en scène un «trésor» sacré.

Sarkis
— A partir de la nuit, 2007. Aquarelle pure dans un autel en pierre (Rajastan, XVIIIe) et sucrier en porcelaine. 18 x 47 x 28 cm
— Double Masque (Janus), 2007. Masque en champignon (Tibet – début XXème), pâte à modeler fluo, terre cuite. 29 x 18 x 20 cm sur diam. 40 cm
— Veste cheveux lumière, 2004. Veste avec cheveux humains (Burkina Fasso) et fluorescents. 100 x 90 cm

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