Par Anne Bony
La carte Blanche 2009 du VIA a été attribuée à l’architecte-designer Philippe Rahm qui propose une réflexion sur le cadre de vie. « Terroirs déterritorialisés » est l’intitulé d’un projet de volume habité écologique; une démarche globale qui remet les évidences biologiques, thermiques, lumineuses au cœur du procédé de création. Une conception en volume et non pas un projet d’enveloppe.
Philippe Rahm écrit un scénario inhabituel qui est de rendre l’intérieur de la maison plus naturel, il ressent la nécessité d’agir sur l’environnement domestique urbain.Â
«Je suis parti du constat que la politique de l’habitat prône le tout isolation. Cette politique coupe la vie dans la maison du monde extérieur et opère un glissement du réel dans l’artificiel. L’idée est de réengager des éléments naturels dans l’univers de la maison. L’expérience est basée sur une reconstitution chimique et météorologique de la géologie et de l’atmosphère parisienne.
L’air qui souffle sur cet écosystème est chargé d’odeurs liées au domaine végétal ambiant. Nous avons imaginé de faire respirer l’habitat avec un système d’aération douce par renouvellement d’air à double flux, un appareil compact d’aération qui vient chercher l’air extérieur et qui se charge dans une cloche des essences d’arbres prélevées et rediffusées dans l’habitat. Cette sorte de cheminée ouverte diffuse une brise olfactive subtile et pure aux saveurs de chêne, de hêtre… » L’objet évoque d’ailleurs une parenté avec Bel-Air du designer Mathieu Lehanneur.
Le chauffage lui aussi est réinventé, dressant une nouvelle cartographie thermique de l’espace. Deux sources sont nécessaires pour contrarier la loi physique de l’air chaud qui monte et rétablir un climat homogène. Au sol un tapis de terroir, conçu à partir de prélèvements géologiques, tableau homothétique de la nature du sol du bassin parisien oligocène, jurassique…. Le tapis chauffant est remarquable. Visuellement, il assemble la délicatesse des tons du calcaire et induit la sensualité de la matière naturelle. Au plafond, un autre élément, sorte de tapis volant, chauffe la pièce, créant une circulation d’air chaud entre 18 et 22°.
La lumière, source de vie, n’échappe pas aux expérimentations de Philippe Rahm qui s’inspire du cycle de déplacement du soleil de la journée du 15 mai 1832 , avec un allumage progressif de Leds en fonction des heures. Une horloge biologique solaire prélevée en 1832, année symbolique de l’avant-exploitation du charbon, de l’avant l’industrialisation, de l’avant pollution un temps béni qui préservait la nature.
Le volume réinventé ne saurait suffire, Philippe Rahm réimplante l’humain dans sa géographie domestique et le place à des hauteurs variables d’observateur et d’acteur de sa propre vie. Il imagine une déclinaison de mobilier assez austère fondé sur une pensée rigoureuse, dans des matériaux neutres chimiquement : l’inox et le plastique. « Entre le plateau et la chaise il y a des hauteurs à habiter » nous dit-il.
Philippe Rahm propose donc de redécouvrir le territoire domestique, dans une démarche globale. Une invitation qui flatte les sens et l’imagination.