On entre dans le spectacle de Myriam Gourfink comme on en sort, avec l’impression d’être à contre-temps, d’avoir raté le début comme la fin (le spectacle commence avant l’entrée des spectateurs ; il s’achève, comme toujours chez Gourfink, sans le traditionnel salut des interprètes), ou, plus cruel encore, avec la sensation d’avoir glissé sur son développement.
Cette exigence extrême que la chorégraphe impose au public, être attentif aux plus subtiles variations de mouvements pendant près d’une heure, ne peut que laisser part à un sentiment d’échec. Quelle performance d’assister à ces « temps tiraillés » !
Sur scène, sept danseuses évoluent au sein de sept zones, circonscrites par des écrans suspendus aux cintres. S’y affiche la partition composée en amont par la chorégraphe, mais aussi les déplacements de chaque interprète, orchestrés en temps réel : Myriam Gourfink est sur scène, derrière son ordinateur comme devant un pupitre, attentive à chacun des rythmes déployés le soir même.
C’est dans cette zone flottante, lieu de l’improvisation et de l’écoute, cet espace laissé flou afin de pouvoir ajuster la composition comme on adapte son corps, que le spectateur doit lui-même tenter de situer son regard. Ici réside la difficulté, mais aussi l’échec d’un tel projet : impossible d’embrasser tous les corps à la fois, impossible de se laisser happer par le développement d’une interprète sans avoir le sentiment gênant de perdre le fil d’un mouvement d’ensemble ; et dans ce jeu de va et vient l’œil se fatigue, l’attention se relâche au lieu de s’affermir. Comme si l’on pouvait « dédoubler d’attention » … et de manière exponentielle.
Or, à cette première difficulté, qui consiste à suivre de très lents déplacements, s’ajoutent deux paramètres extérieurs qui compliquent encore la tâche.
Tout d’abord la musique composée par Georg Friedrich Haas qui, si elle intensifie prodigieusement les micro-déplacements des interprètes lors du premier mouvement, laisse ensuite place à un quasi-silence, à peine ponctué de souffles et de bruits sourds, ayant pour conséquence une sorte de dépression temporelle. Un trou, une béance où se met à fuir notre volonté même.
D’autre part, l’ajout de vidéoprojections, agencées elles aussi en direct, semble redoubler l’esthétique de la chorégraphie : images obscures, spectrales, qui n’ajoutent rien à ce qui se déroule sur scène sinon un brouillage inutile.
Et pourtant, de ce spectacle ardu, il émane une qualité de danse rare. La présence des interprètes, leur investissement corporel et mental témoigne d’un travail proche de la méditation qui fascine le spectateur et le transporte au plus près du souffle, jusque dans l’articulation de la pensée. Captivant voyage qui malheureusement ne résiste pas à la complexité du groupe et nous laisse parfois sur le chemin : spectateurs de la lente révolution d’idoles stellaires, dont certains habits brillent comme les astres, et qui, jusque dans leur disparition, nous renvoient à nos limites ou nos attentes …
— Composition musicale : Georg Friedrich Haas
— Chorégraphie : Myriam Gourfink
— Interprètes : Clémence Coconnier, Céline Debyser, Carole Garriga, Déborah Lary, Julie Salgues, Cindy Van Acker, Véronique Weil
— Basson : Pascal Gallois
— Altos : Garth Knox, Geneviève Strosser,
— Réalisation informatique et musicale : Ircam Robin Meier
— Costume : Kova
— Vidéaste : Anne Delrieu
— Lumière et dispositif scénique : Zakariya Cammoun