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Les Soli de «O,O»

Deux des soli de la partie française des Soli O,O s’arrêtent une nouvelle fois au CND. Inauguré à New York en janvier 2006, ce projet s’appuie sur un solo de Deborah Hay intitulé Room qu’elle choisit de transmettre aux danseurs sans jamais leur montrer mais en le racontant, en utilisant des images mentales afin que chacun soit libre de ses choix d’action et de parole. En France, au CNDC d’Angers, Deborah Hay travaille avec sept artistes chorégraphes : Nuno Bizarro, Corinne Garcia, Emmanuelle Huynh, Jennifer Lacey, Catherine Legrand, Laurent Pichaud et Sylvain Prunenec. Ils apprennent le solo, puis chacun le travaille 3 mois avant de mettre en jeu une chorégraphie en rond, une danse de groupe, grâce à la matière apportée par les uns et les autres.

Sylvain Prunenec et Corinne Garcia sont au CND dans le cadre de La Résidence des Vacances, projet mené par l’action culturelle du centre, accueil d’adolescents d’Aubervilliers qui deviennent résidents au CND, découvrent ses différents métiers et se plongent dans la création.

Vendredi soir dans le studio 8, les habitués sont peu nombreux, assis sur les quatre côtés de la salle mais il y a aussi quelques adolescents, des parents, un petit garçon que beaucoup n’oublieront pas.

La soirée commence avec Oleg Mimosa, le solo de Sylvain Prunenec. Il fait brusquement intrusion, sous une lumière discrète, dans un studio silencieux et vide à l’exception des spectateurs et de quelques marques au sol, pour dessiner le cercle dans lequel se jouent tous les Soli de O,O. En veste à carreaux et chemise jaune, Sylvain entame une danse en rond, faite d’arabesques esquissées, de frappes de pieds qui nous emmène vers un flamenco mimé, d’arrêts et de dilatation du corps. Geste d’automate, articulations cassées, fou rire d’enfant — cet enfant qui, pendant 23 puis 25 min, fera preuve d’une qualité d’écoute assez étonnante pour ces 5 ans et d’une implication dans la pièce que l’on aimerait voir plus souvent !

Et puis, le danseur, regard au sol, frottant du pied une invisible tache, longtemps, jusqu’à ce que des gouttes de sueur viennent s’écraser sur le plancher à quelques centimètres de ma chaise. Cette pause dans la rosace mouvante construite par la danse donne toute sa force à un solo fantaisiste mais parfois d’une inquiétante étrangeté.

Des spirales, un salut, une chute. Une lente expansion de ce corps porté par un regard fort, circulaire et mouvant. Sylvain Prunenec chante « tu es le seul », sur l’air de « Tico Tico », standard brésilien, d’abord joyeusement puis d’un air inquiet et dans un charabia inventé proche de celui de l’idiot. Il nous bénit, passe au sol où les figures se succèdent, rythmées par des « oh » sonores. Après une course désordonnée, un murmure inquiet, quelques volte-face, de belles frappes de pieds encore et un chant assez fort, poing levé, étiré jusqu’au silence, Sylvain ramasse sa veste, abandonnée sur le tracé du cercle, mime à nouveau un flamenco, avant de quitter le studio en traînant les pieds, le regard resté en arrière vers le centre du cercle, une main tendue vers la porte.

Après quelques pas, quelques balancés du petit garçon, spectateur vivant dans l’entre deux des soli, commence Tu peux répéter ? de Corinne Garcia. Elle entre à pas précautionneux, forte et légère à la façon d’un funambule. Dans une petite robe de soie grise, des chaussons japonais, les cheveux tirés, des paillettes sur le visage et des oreilles elfiques, elle a un air de faon, d’animal inquiet. La nuque et les chevilles tournent, lentement, arrêtés régulièrement. Nous sommes dans l’ondulation, le glissement, pour l’instant. Elle chante « you are the only one » sur l’air du même standard brésilien, gratte le sol de la main, accroupie, fait une petite danse sur le cercle puis en son centre, chante à nouveau dans un faux espagnol.

Les « oh » de ce solo-ci seront discrets et clairs, énoncés derrière une main faussement naïve en trois points du cercle. Bien plus agitée au centre, Corinne rampe sur le dos en s’en éloignant et répète «  chaque petit bout » en claquant des doigts, le petit garçon claque aussi, ce qui provoque un rire général et régénérant. Lorsqu’elle reprend le chant dans un nouveau dialecte imaginaire, il marmonne en écho.
Après nous avoir bénit à son tour, Corinne fait signe à l’un des spectateurs — assis seul entre des chaises vides — de venir lui manger dans la main puis reprend la bénédiction avant de gonfler ses biceps dans une parodie d’homme fort et de se flanquer un coup de poing dans le visage. La bénédiction se termine, Corinne reprend sa petite danse sur la limite du cercle, juste au bord de ce rond. Elle prend alors le sol, rampe, émet deux petits « oh » avant de glisser sous la chaise de ce même spectateur. Très applaudi, l’elfe a fini son incursion parmi nous.

Les entrées et les départs, seuils de la chorégraphie, soulignent les divergences et les points de contacts entre ces deux interprétations d’un même récit du mouvement transmis par Deborah Hay. Ce qui pourrait n’être qu’un simple exercice donne à voir l’une des forces qui travaille la danse contemporaine : la matière singulière que forme chaque individu, son corps, son travail, son univers imaginaire.

Horaires : 20h30

Tu peux répéter ?

— Chorégraphie : Corinne Garcia
— Lumière : Yannick Fouassier
— Régie générale : François le Maguer

Oleg Mimosa

— Chorégraphie : Sylvain Prunenec
— Lumière : Yannick Fouassier
— Régie générale : François le Maguer

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