Présentation
Jacqueline Lichtenstein
Les raisons de l’art
Nietzsche ne s’y est pas trompé: «Toujours le créateur s’est trouvé en désavantage vis-à -vis de celui qui ne faisait que regarder sans mettre lui-même la main à la pâte.»
Triste privilège de la peinture: les philosophes énoncent des propositions sur la technique picturale et l’histoire de cet art indépendamment de tout critère empirique de validité, sans mobiliser aucune connaissance ni expérience, à l’encontre des philosophes qui, écrivant sur la musique — Nitezsche, Schopenhauer, Adorno ou Jankélévitch —, s’appuient toujours sur un savoir et sur un savoir-faire. Pourquoi la peinture, objet d’un discours philosophique sans objet, autorise-t-elle les interprétations sans contrôle, les analyses purement auto référentielles?
Jacqueline Lichtenstein date du coup de force théorique de Kant, posant la double autonomie du jugement de goût par rapport au jugement de connaissance et de la théorie esthétique par rapport à la pratique artistique, la plupart des impasses philosophiques de l’esthétique.
En regard, elle restitue, à partir de l’étude des conférences de l’Académie royale de peinture et de sculpture de 1667 à 1793, l’importance de l’analyse artistique — l’explication de l’œuvre, chose mentale et matérielle tout à la fois, par les peintres. Ils y puisaient l’occasion de soulever un problème précis touchant à l’une des «difficultés» rencontrées — le sujet et la correction du dessin; la répartition des lumières; les libertés que le peintre peut prendre par rapport à l’histoire; l’expression des passions.
Dans ce qu’on appelle philosophie de l’art, écrivait Friedrich Schlegel, il manque habituellement l’une ou l’autre: ou bien la philosophie, ou bien l’art. S’il fallait choisir, Jacqueline Lichtenstein soutiendrait sans doute aucun l’art contre la philosophie. Ou plutôt contre une certaine philosophie.
«Cet amour de l’art, qui peut seul donner le véritable sentiment du beau, est précisément ce qui selon lui manque à la plupart des écrits qui paraissent sous le nom d’histoire de l’art: «On chercherait en vain des études et des connaissances sur l’art dans les grands et précieux ouvrages décrivant des statues qui ont paru jusqu’ici. La description d’une statue doit démontrer pourquoi celle-ci est belle et indiquer ce que le style de l’art a de particulier. […] Mais où enseigne-t-on de quoi est faite la beauté d’une statue? Quel auteur l’a regardée avec les yeux d’un artiste averti?»
Pour décrire son objet, l’œil de l’historien de l’art se fera donc artiste, en le regardant lui aussi comme un modèle à imiter et non seulement comme un objet à étudier, c’est-à -dire en l’examinant sous l’angle de la beauté. Et l’œil d’un artiste est inséparable de sa main. L’artiste, qu’il soit sculpteur ou peintre, regarde en copiant; il copie pour voir, pour comprendre. C’est l’une des raisons sans doute pour lesquelles Winckelmann dessinait et gravait les objets qu’il étudiait.
Si le critique et l’historien de l’art ne cherchent en aucune façon à se donner une légitimité par une pratique artistique, ils ne se situent donc pas pour autant à l’extérieur du champ d’ l’art. Il en va tout autrement du philosophe. De ces trois figures nouvelles, il est le seul à adopter une position d’extériorité radicale, aussi bien par rapport au monde de l’art que par rapport à l’histoire de l’art et la théorie de l’art. A la différence du critique et de l’historien de l’art, le philosophe est seul à prétendre parler d’un objet en se situant résolument ailleurs, sur un autre terrain.»
Jacqueline Lichtenstein
Sommaire
— Avant-propos
— Chapitre I: Le critique, l’historien et le philosophe
— Chapitre II: Le plaisir et la règle
— Chapitre III: L’ignorant ou le spectateur désintéressé
— Chapitre IV: Pour une critique de la théorie pure
— Chapitre V: Le philosophe et l’historien de l’art: un dialogue impossible
— Epilogue