Depuis quatre ans, la chorégraphe tunisienne Syhem Belkhodja reflète dans ses spectacles les bouleversements provoqués dans son pays par la Révolution de 2011. Turbulences évoquait les forces contradictoires qui s’opposaient au lendemain de l’évènement, et Frontières de l’invisible traduisait le sentiment d’un exil intérieur. Syhem Belkhodja achève désormais ce cycle en traitant cette fois-ci à proprement parler d’exil.
Malgré l’instabilité politique et économique, malgré la corruption et les inégalités, c’est une note d’espoir qu’elle souhaite mettre en avant dans Les raisons d’espérer. Un espoir à double tranchant, parfois fatal, lorsqu’il tient à la traversée de la Méditerranée dans des bateaux de fortune, par des gens venus de toute l’Afrique, y compris de jeunes tunisiens.
Les raisons d’espérer : de l’exil à l’enracinement
Sur scène se trouvent plusieurs barques traditionnelles, celles qui ont bordé les côtes de la Tunisie de l’Antiquité jusqu’à nos jours. Le bruit des vagues étouffe presque les paroles criées dans diverses langues. Alors que les visages des personnes ayant péri dans la traversée funeste de la Méditerranée apparaissent derrière eux, les six danseurs rament jusqu’au rivage qui a servi de point de départ à leur vaine tentative d’exil. Ils restent immobiles sur leur bateau de fortune, dans un moment de stagnation.
L’échec cuisant de la traversée vers des horizons de liberté explose finalement en une danse chaotique et tumultueuse. Désespoir et colère montent jusqu’à faire jaillir une pulsion de vie. Tout reste à faire sur cette terre morne ; alors faisons-le. Le désir d’agir bouillonne, les idées fusent, l’espoir revient. Les barques ne servent alors plus à partir le plus loin possible, mais à s’ancrer sur le territoire, son bois permettant la construction d’un escalier, d’une route ou d’une maison.
Les raisons d’espérer : l’art comme outil de résistance
Le spectacle se divise ainsi en trois temps : la stagnation, la résistance et les raisons d’espérer. Il est porté par six danseurs tunisiens qui ont connu l’exil. Syhem Belkhodja s’inspire de la jeunesse de Tunisie, déchirée entre l’envie de se battre pour le pays et la tentative de fuite vers l’Europe, poussés par le chômage et la misère. Syhem Belkhodja travaille ainsi dans sa chorégraphie ce qu’elle appelle cette « présence de l’absence » palpable en Tunisie, recouvrant à la fois ceux qui sont partis et ceux qui restent mais avec l’envie de fuir.
La fin du spectacle insuffle tout de même un optimisme quant aux perspectives du pays. La culture tient une place importante dans cette reconstruction nationale aux yeux de la chorégraphe. C’est l’objectif de l’association Ness El Fen qu’elle a créée à Tunis en 2002, qui cherche à lutter contre la montée de la violence et de l’extrémisme en promouvant les arts. Le spectacle Les raisons d’espérer reflète de manière méta-chorégraphique cette ambition, en donnant espoir à la jeunesse tunisienne.