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Les Quatres Saisons de Marie Sallantin

La peinture de Marie Sallantin est une peinture qui n’a pas peur d’affirmer sa présence, très ornementale, qui élargit et anime l’espace. Une peinture qui intrigue aussi, avec ses nus aux attitudes et aux gestes parfois étranges. Empruntés à la mythologie, à travers la Renaissance italienne mais aussi l’Orient, ils nous invitent avant tout à accepter la possibilité de renouer avec l’idée d’une naissance du monde et des forces vives de la nature.

— Auteur : Anne Malherbe
— Éditeur : Marie Salatin
— Année : 2006
— Format : 21 x 27 cm
— Illustration : Couleur
— Pages : 24
— Langue : Français

Présentation
Avec Vénus par Anne Malherbe

Il peut y avoir des raisons de ne pas aimer la peinture de Marie Sallantin. À cause de son sujet, qui peut passer pour trop joli, à cause de sa facture, qu’on peut juger trop impressionniste, à cause de ses pers nages, qui peuvent sembler maladroits, à cause de ses citations de tableaux anciens, qu’on peut con5idé comme déplacées, à cause de ses scènes, qu’on peut trouver incongrues.
Mais c’est justement pour ces mêmes raisons qu’on doit s’éprendre d’une telle peinture; ce sont elles aussi qui nous donnent les clés de cette œuvre singulière,

Les «Quatre Saisons» de Marie Sallantin appartiennent au vaste cycle autour de Vénus qui a occupé l’artiste entre 1993 et 2001. Se saisir de la figure de Vénus après des années consacrées à l’abstraction, c’était, de la part de l’artiste, assumer sans réserves, sans inhibition ni pudibonderie, le symbole même de la beauté et de la création. C’était avancer clairement le postulat d’une peinture qui ne craint pas de croire qu’elle peut encore ouvrir les portes d’un monde désiré. Sans doute cette peinture possède-t-elle cette part d’innocence et de spontanéité qui seule permet les coups d’éclat. Retrouver Vénus, c’est en effet accepter sans ambages l’évidence lumineuse d’un lieu commun et reconnaître tout ce que celui-ci possède encore de nécessité, c’est aussi s’apercevoir que le lieu commun peut être entendu comme territoire commun, sur lequel il est bon de s’aventurer quelques fois.

Les toiles ne déroulent pas les histoires de Vénus relatées par la mythologie. Ni Mars, ni Vulcain, ni Amour ne sont nommément convoqués. Ce qu’il reste de la déesse, ce sont ses éléments favoris, l’eau et l’air, ainsi que sa suite, hommes et femmes qui s’ébattent nus au milieu des éléments. Il ne s’agit donc pas, on l’aura compris, de peindre à nouveaux frais des histoires mille fois contées, mais de capter la contemporanéité de Vénus, d’en ranimer ce qui est capable encore de nous toucher et de nous instruire sur nous-mêmes.
Pour entrer dans cette peinture il faut aimer se livrer au grand air et aux élans impérieux. C’est une peinture guidée par un souffle qui se poursuit de toile en toile et justifie l’existence d’un cycle. C’est donc une œuvre de la naissance et de la renaissance, telles que les incarne le thème des saisons. Dans le grand Été, la femme du premier plan jette de l’eau sur le personnage à ses côtés, accroupi dans une position fœtale, tandis que l’écume dont elle l’asperge, blanchâtre et un peu épaisse, a l’apparence d’un liquide séminal. C’est une Genèse où le principe féminin a la préséance. L’on ne peut que se prendre de sympathie pour ces représentations où les femmes tiennent à l’évidence une place originaire dans la création (du reste, il a fallu du temps pour que les figures masculines apparaissent dans ce cycle de Vénus).
Dans l’Hiver, un grand personnage féminin s’arc-boute sur le côté, les bras tendus au-dessus de sa tête comme dans une danse. Des flocons de neige lui passent entre les doigts qui, comme par un effet magnétique, en font dévier le cours. Ce sont des doigts souples et effilés, tandis que la paume de la main est longue et incurvée. Ainsi la femme est-elle, comme presque à chaque fois, l’initiatrice; plus précisément, c’est elle qui transmet l’énergie qui traverse chacune des toiles.
Il suffit pour s’en convaincre, de regarder les mains et le détail de leurs gestes. Ici des gouttelettes glissent des doigts de la femme qui vient de tremper sa main dans l’eau, tandis que le coude de l’autre bras repose négligemment sur l’épaule du personnage voisin, créant un déplacement de poids. Ailleurs, trois Grâces montrent tantôt la paume tantôt le dessus de leurs mains, dans un étonnant jeu d’alternante. Dans le Printemps, la figure féminine du premier plan dirige sa main vers l’homme qui se tient derrière elle. Celui- ci, à demi renversé (la femme lui aurait-elle jeté un sort?) est baigné de lumière et, de sa propre main, elle-même vivement éclairée, il retransmet cette lumière au spectateur.

les détails (qui n’apparaissent pas toujours au premier regard) révèlent que le sujet principal des toiles en est aussi le principe créateur, à savoir l’énergie qui se propage de figure en figure et qui est sans doute aussi au fondement même de la pratique picturale de Marie Sallantin. Car l’exécution des toiles ne paraît reposer ni sur une composition spatiale strictement prédéterminée ni sur une narration précise ni sur la seule harmonie des couleurs. Les décrochements d’un morceau à un autre, au sein d’une même toile, sont fréquents et peuvent surprendre; de même, les différents plans s’agencent souvent sans que les proportions de l’espace puissent être clairement appréhendées. C’est que le lien entre chaque partie est assuré par la tension et la vibration qui s’incarnent dans la touche, la texture et la couleur. Un Tronc violet miroite sur le contour d’un corps, les branches d’un arbre arrachent l’eau à son plan et la transforment en pures taches colorées, les flocons de neige furieux et denses ont aussi la texture de pétales de fleurs: la touche et la couleur créent les éléments et les métamorphosent à leur guise. La peinture lie, fait surgir, absorbe. Ainsi cette figure dans l’eau à mi-corps, dont le reflet a été bu par la couleur, ou cet autre personnage dont on ne sait s’il marche sur l’eau ou repose sur la terre ferme.

De même, les corps aux contours souvent étranges, parfois noueux, parfois lascifs, sont-ils essentiellement, plutôt que des figures dotées de caractéristiques qui les individualiseraient définitivement, l’incarnation de poids et de contrepoids, d’inflexions et de directions; ils expriment la légèreté et la chute, la force et la souplesse. Le pinceau s’arrête au moment où le corps porte suffisamment l’empreinte des qualités physiques dont, comme on le dit d’un corps qui transmet le courant électrique, il est le conducteur. Les figures ne sont jamais individuelles, mais toujours subtilement reliées. En cela c’est une peinture d’une glande sensualité.

C’est ici qu’interviennent les citations tirées de l’histoire de la peinture (de Raphaël à Seurat, de Rubens à Tiepolo). Prises dans l’élan de la composition et de la touche, c6es-ci rendent hommage à la liberté et à la magnificence du corps en mouvement. Elles traduisent aussi l’indépendance de l’artiste qui ne craint pas d’abolir les époques en inscrivant dans son œuvre la vigueur propre des trouvailles d’autrefois. Elles témoignent enfin de l’esprit de jeu qui préside à cette œuvre dont la profondeur finit toujours par céder à la fantaisie.

Ainsi, d’ailleurs, le disent les visages, ces visages qui nous perturbent par leurs traits généralement sommaires, effacés ou imparfaits. Réduits à quelques signes, parfois semblables à des masques mystérieux, ils invitent à préférer la fantaisie du jeu et la fluidité des émotions à une apparence figée et à l’expression d’un message univoque. Enclins à la connivence, ils nous demandent instamment de nous mettre en état de vacance et de nous laisser gagner par le remue-ménage de cette peinture toute en liberté. contre l’apnée à laquelle nous contraint la réalité, ils nous invitent à respirer l’air vivifiant de l’imagination.

L’auteur
Anne Malherbe est journaliste, historienne de l’art et enseigne à l’École Normale Supérieure.

Traducciòn española : Maï;té Diaz
English translation : Margot Ross

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